La chicorée ? Longue histoire, large biodiversité cultivée

Vitrine de présentation de chicorée industrielle
 Crédit Photo : Sébastien Champion
Nous consommons de la chicorée depuis la préhistoire et découvrons progressivement ses vertus, ses usages multiples, de la racine à la feuille. L’amélioration par l’homme est en marche depuis quelques millénaires. La torréfaction de la racine ne se répand en Europe qu’à partir de la fin du XVIIIème siècle. Comment devient-on à la fois salade goûtue, plante fourragère et savoureuse boisson chaude ?

Des vertus connues depuis longtemps

L’histoire de la chicorée se perd dans la nuit des temps. « Les premiers usages sont difficiles à définir puisqu’on trouve des restes de chicorée dans les feux des hommes préhistoriques. Son histoire commence par un écrit égyptien datant de 2.000 ans avant J.C : le papyrus d’Ebers, constitué de hiéroglyphes primitifs», raconte Bruno Desprez, responsable recherche de l’entreprise semencière Florimond Desprez. Ce document décrit la vie en Egypte ancienne, 1.800 plantes médicinales, et en particulier la présence de deux types de chicorée : celle des champs et celle des jardins. « La chicorée des champs est celle dont on consomme la racine ; celle des jardins correspond à la plante dont on mange les feuilles en salade. La double utilisation de la chicorée est donc très ancienne », poursuit le spécialiste. Plus tard, les grecs et les romains utilisent la racine, coupée en cubes et grillée, pour ses propriétés apéritives et digestives. Les premiers médecins vont tester ses vertus thérapeutiques en accompagnant les armées. Dioscoride, médecin grec, fait référence à la chicorée dans son ouvrage De Materia Medica. « La chicorée est utilisée pour soigner les blessures, grâce à ses propriétés anti-inflammatoires, et pour réguler les troubles digestifs. Le médecin militaire avait donc la possibilité de soigner deux maux grâce à la même herbe », explique Bruno Desprez. Charlemagne mentionne ensuite la chicorée dans le « Capitulaire de Villis », ouvrage qui spécifie en particulier la liste des plantes médicinales qui doivent figurer dans les jardins des châteaux forts. Cet écrit favorise l’essor de la plante, et son amélioration par les moines bénédictins, à des fins médicinales et alimentaires.

Son usage se répand au XIXème siècle

Au XVIème, la décoction de racines de chicorées se répand en Hollande, en Allemagne, en France. En 1806, pendant la guerre contre l’Angleterre, le blocus continental empêche l’importation de sucre et de café. Napoléon favorise le développement de la culture de chicorée, dans le Nord, afin de remplacer le café. « Pour confectionner cette boisson, il faut sécher la racine, la découper en morceaux, puis la torréfier à bonne température. Les « chips grillés » obtenues sont mises à infuser dans l’eau chaude », précise le spécialiste. La plante était considérée comme une épice, un condiment ; après le règne de Napoléon, son développement s’accélère. Aujourd’hui le regain d’intérêt pour cette plante s’explique à la fois par son absence de caféine et ses nombreux attraits nutritionnels. La France est le premier pays producteur de chicorée en Europe, devant la Belgique et les Pays-Bas.

Elle est riche d’un éventail de variétés

Botaniquement, la chicorée appartient à la famille la plus développée et la plus évoluée du monde végétal : les astéracées (fleurs composées). 20.000 espèces appartiennent à cette famille, comme le tournesol ou l’artichaut. La chicorée est particulièrement proche du pissenlit, du salsifis, de la laitue. « Comme le nom de sa famille l’indique, la chicorée est en réalité, non une seule fleur, mais un capitule composé d’une vingtaine de fleurs. Ce que nous prenons pour un pétale est une fleur à part entière », indique Bruno Desprez. Le genre « chicorée » regroupe lui-même trois espèces. La Cichorium Botae pousse au Yémen, elle est adaptée au climat sec et est broutée par les animaux. Les deux autres espèces ont une version sauvage et plusieurs versions cultivées. Vous rencontrerez les versions sauvages en été sur le bord de la route, mais il faut se lever tôt pour voir ces fleurs bleues, « fiancées du soleil », car elles se ferment l’après-midi. L’espèce Cichorium Endivia inclut, comme son nom ne l’indique pas, les scaroles et les frisées, qui ne sont ni des endives, ni des laitues. L’espèce Cichorium Intybus regroupe à la fois les chicorées dont nous utilisons les feuilles croquantes en salades, vertes ou rouges (Pain de Sucre, Catalogne, Trévise, Vérone, Cornet d’Anjou, etc.) ; et les variétés dites industrielles, dont nous utilisons la racine ou les « chicons ». « La racine peut être localement consommée fraiche, comme un salsifis, à l’image de la chicorée de Soncino. Certaines variétés sont fourragères et servent à l’alimentation des animaux. La chicorée industrielle ressemble à la betterave, elle est utilisée majoritairement pour la confection de boissons et on en extrait aussi des sucres bénéfiques pour la digestion (les inulines). Les chicons correspondent à ce que nous appelons injustement les endives », explique le sélectionneur. En 1875, le jardinier du roi des belges transpose en effet à la chicorée la technique du « forçage » (faire pousser la plante dans l’obscurité pour la consommer étiolée, sans amertume), déjà connue pour le pissenlit. Il obtient les premiers chicons, que nous appelons endives. Article issu de la journée Biodiversité organisée par l'interprofession des semences et plants, en partenariat avec le Comité Nord, les Ets Carneau, les Ets Florimond Desprez le 13 juin 2012 chez les Ets Florimond Desprez à Cappelle-en-Pevèle (Nord).

La variabilité biologique de la chicorée est grande, ses gènes nombreux : les sélectionneurs, principalement basés en France et en Belgique, élaborent des nouvelles variétés à partir de cette riche biodiversité. Ils réalisent des collections pour préserver, caractériser et enrichir son patrimoine génétique. Leurs objectifs de recherche concernent évidemment à la fois des exigences agricoles, comme la tolérance aux maladies, et des objectifs quant aux usages (taille et forme des racines, teneur en inulines, goût, qualités nutritionnelles, etc…).
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