Le blé, des richesses génétiques au service de l'homme

Visite d'une vitrine variétale de l'histoire du blé tendre (juin 2012).
 Crédit Photo : Sébastien Champion
Depuis plusieurs millénaires, le blé n’a cessé de se diversifier à l’échelle de la planète. Il s’est enrichi, en particulier grâce à sa domestication par l’homme, qui a sélectionné à chaque récolte les grains qu’il a jugé les meilleurs pour les ressemer. Les échanges commerciaux puis la sélection moderne, qui fait intervenir des souches lointaines, ont accéléré les croisements et le développement du nombre de variétés. Les agriculteurs français cultivent aujourd’hui un éventail de plus de 400 variétés de blé tendre.

Le blé est issu d’une diversité génétique de graminées sauvages

Les ancêtres du blé sont des graminées sauvages. Elles ressemblent peu au blé actuel : leurs épis sont petits, les grains sont peu nombreux et réduits, les tiges sont longues et souples, les graines se disséminent facilement au vent. Leurs glumes coriaces sont très adhérentes, c'est-à-dire que l’enveloppe reste étroitement attachée au grain, ce qui rend difficile son utilisation. « Faire une baguette de 250g avec ce type de graminée prendra un certain temps ! », s’amuse à dire Xavier Martin, délégué régional de l'interprofession des semences et plants. A l’origine du blé, trois génomes de variétés sauvages vont spontanément s’additionner. « Dans un croisement, nous observons souvent une « fusion » des génomes, c'est-à-dire que la plante fille possède le même nombre de chromosomes que ses deux parents. Pour le blé, le cas est un peu particulier : il y a addition des génomes. Les trois génomes coexistent dans la même cellule et s’expriment», poursuit-il. Cette particularité confère au blé une large diversité (résistance à la sécheresse, au froid, qualités boulangères ou fourragères, pailles courtes ou longues…) ce qui le rend adaptable à de nombreux terroirs et utilisations, en puisant dans ses ressources génétiques très riches.

Une patiente et fructueuse domestication

Trois génomes de variétés sauvages se sont additionnés, mais en deux temps : d’abord le génome A + le génome B vont donner le génome AB, ou Triticum turgidum dicoccoïdes, ancêtre commun du blé dur et du blé tendre. Lorsque l’homme devient sédentaire et agriculteur, au néolithique, il y a environ 10.000 ans, il s’installe dans les zones les plus fertiles et cherche à sécuriser son alimentation. Il commence à domestiquer le blé, graine nourricière qui se conserve bien. « Certaines mutations spontanées vont advenir dans les premières parcelles cultivées. Elles donnent lieu par exemple à une solidification du rachis (moins de dissémination des grains avant la récolte) ou à des enveloppes qui se détachent plus facilement du grain (épis « battables ») : autant de caractères que l’homme va sélectionner, en ressemant chaque année les grains les plus intéressants pour lui », explique Xavier Martin. Le blé dur va évoluer en conservant ce génome AB (issu du Triticum turgidum dicoccum ou amidonnier cultivé). Concernant le blé tendre, c’est au sein des parcelles d’amidonnier cultivé, il y a environ 9.000 ans, que va s’additionner le génome d’une autre graminée sauvage (génome D) pour arriver à des blés proches du blé actuel (génomes ABD), comme le Triticum aestivum spelta (l’épeautre, variété rustique qui possède encore une enveloppe adhérente, trace de ses ancètres), et le Triticum aestivum compactum (blé hérisson). D’autres mutations apparaissent au fil du temps, sont retenues ou non par l’homme, jusqu’à l’émergence des variétés de blé tendre que nous connaissons. Les blés, du fait de leur origine génétique multiple, vont s’adapter à différentes régions de la planète, le commerce favorisant les échanges de grains.

Le processus de domestication s’accélère grâce à la sélection moderne

Jusqu’au XIXème siècle, les agriculteurs cultivent des variétés dites « de pays », c'est-à-dire des populations dont les individus présentent une certaine variabilité. A partir de 1850, ces populations sont peu à peu remplacées par des blés dits aquitains. « Le Marquis de Noé importe des blés d’Odessa ayant une bonne valeur boulangère, qui vont se répandre sur le territoire. Il donne ainsi son nom (Noé) au plus célèbre des blés aquitains. Prince Albert, variété anglaise, va servir de géniteur à la première variété mise au point par la sélection moderne, qui utilise des lignées pures et non plus des populations : les variétés sont désormais fixées », raconte le spécialiste. En effet, à partir de ses lignées anglaises, Vilmorin élabore les premières variétés modernes (Dattel), où tous les individus sont identiques dans la parcelle. Elles allient la productivité des blés anglais et la précocité et valeur boulangère des blés aquitains. Plus tard, les hauteurs de paille sont réduites pour mieux résister à la verse (blé couché par les intempéries) et favoriser la récolte, grâce à l’introduction d’un gène du nanisme, issu d’un blé asiatique. Grâce au travail de sélection, les blés continuent de plus belle à coloniser les continents ; les sélectionneurs les adaptent en parallèle à différentes utilisations (pains, biscuits, pâtes, fourrages, etc.). Les collections actuelles sont constituées de milliers de variétés. Citons à titre d’exemple le blé Miracle (un blé poulard au génome AB qui n’a de miracle que le nom puisque les épis en forme de touffes ont un rendement et une qualité médiocres), Vilmorin 27 (crée en 1927 et doté d’une bonne qualité boulangère), Cappelle, Soissons (très bon blé panifiable), Apache (qui résiste à la fusariose, maladie à l’origine de mycotoxines), Barok (variété rustique qui résiste bien aux maladies), Pirénéo (blé rustique utilisé en agriculture biologique), Andalou (variété précoce), Premio, Trapèze, Pakito, etc… Notre civilisation basée sur le pain n’est donc pas due au hasard. Elle est née de la richesse génétique des origines du blé, et à l’habileté des hommes pour en tirer le meilleur. Article issu de la journée Biodiversité organisée par l'interprofession des semences et plants, en partenariat avec le Comité Nord, les Ets Carneau, les Ets Florimond Desprez le 13 juin 2012 chez les Ets Florimond Desprez à Cappelle-en-Pevèle (Nord).

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