Préserver la biodiversité cultivée d'Ile-de-France

Si les variétés patrimoniales d’Île-de-France constituent un trésor, Gilles Debarle  est un de leurs gardiens. Ce passionné des légumes anciens milite pour préserver et mettre en valeur les variétés oubliées au potager du domaine de la Grange-la-Prévôté à Savigny-le-Temple.

Gilles Debarle “La réintroduction de goûts et de saveurs oubliées participe à forger l’identité de l’Île-de-France.” Crédit photo Snezana Gerbault

Depuis plus de 20 ans, Gilles Debarle, chargé de mission à la ville de Savigny-le-Temple s’attache à rechercher et faire cultiver des variétés anciennes de fruits et légumes. “Au départ, il s’agissait de réhabiliter le potager du domaine de la Grange-la-Prévôté datant de 1760 et de lui donner une identité.” Le programme alors mis en place a centré son action sur la préservation des ressources génétiques d’Île-de-France. “Historiquement, la région était celle où il y avait le plus d’obtenteurs et de diversité de variétés légumières. Tout cela a disparu.” Pour récupérer et réintroduire des variétés oubliées, il s’appuie sur les Centres de ressources biologiques de l Inrae, sur le Geves et ses ressources phytogénétiques ainsi que sur le Réseau national des ressources génétiques TerraBiodiv. “C’est un réseau de professionnels dont la mission est de sauvegarder et valoriser les biodiversités domestiques animales et végétales des régions de France.

Un retour de Russie

Autre source importante, le réseau Potagers de France dont fait partie le Château de Valmer. “La propriétaire Alix de Saint-Venant, paysagiste et botaniste passionnée, m’a procuré plusieurs variétés patrimoniales provenant notamment de la station Vavilov de Saint-Pétersbourg.” L'Institut russe possède une importante collection de graines de variétés françaises répertoriées dans les catalogues historiques de Vilmorin. Gilles Debarle a également retrouvé des variétés anciennes auprès de jardiniers amateurs et des potagers de châteaux. “Au fil des années, j’ai constitué un stock de semences.” Récupérer des graines est une chose, conserver les variétés en est une autre. “Il faut trouver des maraîchers bio pour les multiplier. C’est une organisation très longue à mettre en place et qui reste fragile.” Il arrive que des variétés abandonnées par les semenciers, tombées un temps aux oubliettes, suscitent à nouveau leur intérêt. À l’instar du haricot ‘Cerise’ que le grainier Girerd souhaite multiplier et qui sera réinscrit au catalogue officiel des variétés par le Geves. “La boucle est bouclée !”

De la diversité naît l’équilibre

Le jardin potager de Savigny-le-Temple, dessiné à la française, s’étale sur un hectare. Il associe une collection de cinquante variétés légumières et aromatiques et soixante variétés fruitières. Haricot nain ‘Merveille de Paris’, tomates ‘Perdrigeon’, ‘Chemin’, ou encore ‘Grosse lisse’ “magnifique et délicieuse qu’on a récupérée en Australie”, laitue Batavia ‘Reine des Glaces’ “croquante et très productive en pleine sécheresse”, autant de variétés patrimoniales parisiennes présentes dans le catalogue Vilmorin de 1925 et qui poussent désormais dans le jardin du Domaine. “Les variétés anciennes sont loin d’être déméritantes. Certaines sont intéressantes pour leur goût, d’autres pour un usage particulier. Certaines se comportent très bien face au réchauffement climatique. La diversité permet d’équilibrer la récolte du jardin d’une année sur l’autre.”

Lieu de vie et de lien social, le potager de la Grange-la-Prévôté constitue un support d’animations pédagogiques autour du jardin pour les crèches et les scolaires, de 3 à 17 ans. Les légumes sont valorisés dans les ateliers cuisine des centres sociaux, dans les écoles de la ville et au lycée hôtelier. “Nous menons beaucoup de projets diversifiés qui apportent un nouveau regard sur la ville et ses habitants grâce aux jardins.

Sabine Huet

Co-écrit par Gilles Debarle et Laetitia Bataille, l’ouvrage Remarquables potagers de France présente la diversité des anciens jardins présents dans les châteaux, les abbayes, et met en lumière ce qu’ils ont conservé de leur histoire. “Les plus anciennes traces d’un potager clos de mur sont retrouvées dans une abbaye à Nice”, relate Gilles Debarle. Le livre retrace les grandes innovations survenues tous les 400 ans environ depuis le début de notre ère. “L’agronome Romain Columelle recense les espèces et variétés cultivées. La chute de l’Empire romain entraîne la fin de l’évolution des jardins.” Les années 800 voient la publication du Capitulaire de Charlemagne dont quatre chapitres évoquent les jardins. “Le premier plan de potager connu est celui de l’abbaye de Saint-Gall en Suisse.” En 1200, le Frère Albert le Grand développe les jardins clos de murs en pierre et non plus en bois pour créer un microclimat. “Les potagers et vergers des domaines se sophistiquent.” À la Renaissance, le potager classique arborant une fontaine centrale prend le relais, à l’image du potager du Roi de Versailles, voulu par Louis XIV. “Les cultures fruitières en espaliers se développent.” Après la recherche de productivité des jardins du 19ème siècle, on constate depuis les années 2000 un regain d’intérêt pour le potager conduit avec des méthodes plus naturelles. “C’est un vrai tournant, on réhabilite le jardin avec des variétés anciennes, on rénove les potagers historiques comme celui de Savigny-le-Temple.” Au fil des pages, les jardins se réinventent.

LG
MD
SM