Agrotensioactifs, les molécules se font mousser !

Vive les céréales, le colza, la betterave à sucre et autres comparses ! Ces produits agricoles détiennent des atouts cachés. Ils possèdent en leur cœur des molécules qui sont utilisées par la chimie du végétal pour produire des tensioactifs ! On retrouve principalement ces molécules dans les détergents ménagers, les savons ou les cosmétiques, car elles présentent des propriétés variées : émulsionnantes, adoucissantes, mouillantes ou détergentes.

Une industrie chimique qui pioche selon ses besoins

Certaines molécules issues des céréales sont ainsi très convoitées. C’est le cas de la dihydroxyacétone (DHA), la molécule autobronzante la plus utilisée au monde, qui est fabriquée à partir de céréales note [1] ! De leur côté, les actifs du gluten de blé attirent les industries cosmétiques de par leurs propriétés réparatrices et nourrissantes pour la peau. Enfin, l’amidon permet au dentifrice de ne pas durcir dans le tube… La betterave à sucre n’est pas en reste. Certains cosmétiques incorporent un de ses tensioactifs dans la formulation de shampoings, de gels douche, de savons liquides et de certains produits d'entretien. A la clé : des produits sans conservateurs et pouvant afficher fièrement l’Ecolabel européen. Car, en plus d’être biodégradable, ce tensioactif vert permet une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à son équivalent pétrochimique.

L'impulsion Agrice

Les recherches sur les tensioactifs issus des végétaux (= agrotensioactifs) ont pris leur essor avec le lancement du Groupement d'Intérêt Scientifique (GIS) Agrice, en 1994. Son objectif : promouvoir le développement des nouvelles utilisations industrielles des matières premières végétales en dehors de l'alimentaire. Certains projets ont ainsi cherché à synthétiser de nouvelles molécules aux propriétés tensioactives. « Ces agrotensioactifs présentent des originalités de structure que l’industrie pétrochimique est incapable de reproduire », révèle le laboratoire Alvend. « La nature met à disposition de l'homme des molécules qui, en l'état ou après transformation, offrent des caractéristiques techniques parfois supérieures à des bases pétrolières conventionnelles, complète la société Lobial note [2]. Les huiles végétales sont des matières premières pré-synthétisées, déjà élaborées, et présentent souvent des plurifonctionnalités intéressantes. » Grâce à ces plurifonctionnalités, qui permettent de simplifier les formulations, les alternatives végétales restent compétitives, malgré le coût plus élevé de la matière première ! D’autres projets se sont concentrés sur l’optimisation de procédés de synthèse chimique ou microbiologique de tensioactifs végétaux, en travaillant sur les aspects agronomiques et l'amélioration variétale, pour aboutir à la valorisation de coproduits (glycérol, tourteaux de colza, pulpes, etc.).

Pleins phares sur le colza érucique

Rappelons que les molécules tensioactives comportent une partie lipophile (qui s’associe aux graisses) et une partie hydrophile (qui s’associe à l’eau). On appelle agrotensioactif un tensioactif qui possède au moins une de ses deux parties d’origine végétale. « Le groupement lipophile peut être issu de matières premières oléochimiques dérivées de colza, tournesol etc. La partie hydrophile peut provenir de coproduits de l’industrie de l’amidon ou du sucre (betteraves à sucre, dérivés du maïs ou autres céréales) », explique Agrice. Certaines huiles, comme l'huile de colza, fournissent ainsi des alcools gras, utilisés en cosmétique pour produire des bio-émulsionnants. Pour le colza, dont la culture est bien maîtrisée et les graines riches en huiles, les semenciers cherchent à mettre au point des variétés qui produisent des huiles contenant plus de 85 % d’acide érucique. Car cette molécule sert à fabriquer des tensioactifs anti-mousses sous forme de savon ou adjuvants de solvants dans des produits phytosanitaires.

Des molécules biodégradables et faiblement toxiques…

Quels sont les atouts de ces tensioactifs d’origine végétale ? « Un impact favorable sur l’environnement, par leur biodégradabilité, leur écotoxicité faible voire nulle et par leur innocuité pour la santé humaine », rapporte Agrice. « Ils présentent un caractère biodégradable supérieur aux dérivés issus de la pétrochimie. En termes d'écobilan, pour produire un agrotensioactif, il faut deux fois moins d'énergie que pour un tensioactif d'origine pétrolière, indique de son côté le laboratoire Alvend note [3]. L’utilisation de ces tensioactifs est motivée par leur caractère renouvelable. » En termes de promotion, le caractère naturel de ces molécules est un plus. Tous ces avantages ne laissent pas indifférents les industriels et les consommateurs, de plus en plus sensibilisés aux problèmes environnementaux. Les agrotensioactifs ont ainsi fortement progressé et représentaient plus de 25 % du marché en 2009, avec une consommation française de l’ordre de 120.000 tonnes note [4]. « La production française est inférieure à la consommation. Les experts tablent sur une croissance de 7,5 % sur les périodes 2005 à 2015 et 2015 à 2030 », indique le pôle IAR note [4].

… mais limitées par leur prix de revient

Mais, les experts constatent que les tensioactifs d’origine végétale demeurent actuellement cantonnés à des marchés de niche à forte valeur ajoutée, comme les produits d’hygiène et de cosmétique. La raison : la matière première coûte cher et le marché est déjà saturé, avec une très large gamme de produits. « Le développement de nouvelles molécules tensioactives n’est pas une priorité pour la majorité des industriels, constate Agrice. Les véritables enjeux se situent donc non plus au niveau de la synthèse de nouvelles molécules performantes, mais à celui du développement de méthodes de synthèses industrielles simples et compétitives. » Par ailleurs, certaines molécules végétales ne sont pas exploitables directement dans le monde des détergents : « Pour les années à venir, un des axes de recherche pourrait être l’obtention de chaînes carbonées d’origine végétale adaptées au besoin de la détergence », estime Agrice, qui souligne ici le besoin de recherche en sélection variétale. Tous ces freins n’excluent pas que, sous la pression des consommateurs avertis, les agrotensioactifs puissent gagner jusqu’à 50 % des parts de marché dans le monde des détergents, selon certains experts. « Les agrotensioactifs, renouvelables, jouissent d’une très bonne image », explique le pôle IAR note [4]. Un avis partagé par l’association Les Jardiniers de la mer note [5] : « On peut penser que la proportion des tensioactifs d'origine végétale va augmenter car ils permettent une simplification des formulations, un apport de performances originales et un impact réduit sur l'environnement. » La création d’un label adapté pourrait accélérer ce processus de pénétration du marché, déjà fortement incité par le règlement REACH depuis 2007. Sources : [1] Passion Céréales [2] Lobial [3] Alvend [4] Les agro-tensioactifs, fiche PRIV – août 2010 télécharger la fiche PRIV [5] Posidonies
Les industriels exploitent les coproduits de l’industrie de l’amidon ou des sucres : maltodextrines, glucose et saccharose. On exploite le saccharose pour faire notamment des sucroesters. Sans odeur et sans couleur, ces derniers sont utilisés en agroalimentaire et dans le monde de la cosmétique. Ils servent à stabiliser des émulsions dans les produits lactés ou dans les margarines. Les chimistes s’emparent également de l’inuline de chicorée, du glycérol coproduit de transformation du colza, ainsi que des oligopeptides et acides aminés issus du gluten de blé ou de maïs. Mais ils vont également chercher les molécules issues des huiles végétales, issues du coprah, du palmier à huile.
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