La Courrouze : « Faire du végétal l'armature de l'éco-quartier »

Charles Dard - Paysagiste

Présentez-nous en quelques mots le site de La Courrouze

Charles Dard - Paysagiste
La Courrouze fait plus d’une centaine d’hectares, l’équivalent d’un petit arrondissement parisien. C’est un projet d’urbanisation dense et, chose rare, un quartier à aménager d’un seul tenant ! Le sol a été dégradé par les anciennes activités industrielles de l’armée (on y fabriquait des munitions). Il est pollué à certains endroits par des métaux lourds et souvent très compacté. Comme ce site a été abandonné après-guerre, sur certaines zones, la végétation a repris ses droits : un beau patrimoine végétal doit donc être conservé, avec la difficulté en parallèle de réaffecter une partie du sol à un usage d’habitation…

Quelles sont pour vous les originalités de La Courrouze ?

Pour moi, la particularité de La Courrouze, c’est son pilotage exceptionnel. Les conditions d’avènement du quartier ont été excellentes : une maîtrise d’ouvrage éclairée (Territoires, Rennes-Métropole et le service des jardins), dont le rôle est largement aussi important que celui des urbanistes. Ils ont l’expérience de l’aménagement et ils savent exactement où ils veulent aller. A La Courrouze, la biodiversité est particulière : elle résulte d’une ancienne friche (zone militaire abandonnée) sur laquelle on veut pratiquer à terme une gestion différenciée, avec un souci de durabilité, notamment par la gestion des eaux de pluie en surface. Les zones où la végétation s’est développée sont amusantes à détailler. C’est au niveau du réseau de l’ancienne voie ferrée, à l’endroit où se trouvaient les ballasts, que le sol est le moins compacté. Ils constituent donc à la fois les endroits de prédilection pour la circulation d’eau et les lieux les plus prisés par les arbres. L’armature verte du quartier s’assimile donc à l’ancienne étoile du réseau ferré.

Quelle place pour la biodiversité ?

Le maximum dans un quartier densément habité ! Un inventaire de la biodiversité a été réalisé lors du lancement du projet, en 2002. Mais il a été poursuivi plus récemment par un étudiant en biologie végétale qui s’est focalisé sur la richesse floristique herbacée de La Courrouze. La diversité végétale apparaît surtout au niveau des sols les moins riches. En effet, quand la terre est riche, certains types de plantes, comme les graminées les plus courantes, prennent vite le dessus. Au contraire, dans ces friches industrielles, nous avons trouvé des prairies intéressantes (ex : des plantes calcicoles favorisées par la présence de béton). L’inventaire a été réalisé en début de projet, pour que nous soyons en capacité de sauver une partie de la biodiversité, non seulement des arbres bien sûr, mais aussi des annuelles, en particulier dans les zones de prairies. L’inventaire permet de « mesurer » la biodiversité, une de nos préoccupations majeures, c’est pour cette raison qu’il est à poursuivre. Il s’agit de connaître les espèces présentes, avant de décider de les conserver ou non (sentiers, zones humides, fauches tardives). Immédiatement sous le charme de la végétation existante, les urbanistes nous ont demandé de ne pas la remplacer, autant que possible, pour tâcher de garder ce rare côté sauvage et naturel. La végétation ayant poussé toute seule, elle est robuste, et l’idée est de la faire perdurer. Mais cela s’avère très délicat lors de la transition d’une friche militaire interdite d’accès vers un quartier habité : les conditions environnementales jadis propices à cette « nature » sont bouleversées ! Nous devons tout mettre en œuvre pour que le sentiment d’être dans un espace dominé par la nature perdure. Cette posture « esthétique » des urbanistes se conjugue à une autre demande des services des jardins des deux villes : concevoir un lieu adapté à une gestion différenciée des espaces verts. Le service des jardins souhaite des endroits sauvages, et d’autres très entretenus, et demande donc des cartes d’entretien dès le départ, pour adapter leurs méthodes d’intervention.

Quelle est votre rôle en tant que paysagiste dans l’éco-quartier ?

Outre l’inventaire du patrimoine végétal, il s’agit aussi de rappeler à la maîtrise d’ouvrage et aux architectes mandataires qu’il est délicat de compter sur la végétation existante quand on dessine un quartier neuf au sein d’une friche industrielle. Le patrimoine végétal est le fruit d’une reconquête des plantes sur un terrain militaire, dont le sol est par endroits à réhabiliter. Il est difficile de préserver certains sites, de conserver des arbres, tout en procédant au travail de nettoyage et de dépollution. Avec les architectes urbanistes, nous sommes maîtres d’œuvre « VRD » (c'est-à-dire que nous dessinons et conduisons les chantiers de voirie et réseaux divers : les espaces publics du quartier) mais nous avons une deuxième mission : la maîtrise d’œuvre urbaine. Il s’agit de l’orchestration des projets des architectes et des promoteurs immobiliers qui viennent construire les différentes opérations d’activités et de logements qui composeront le quartier. L’écriture de cahiers des charges pour définir les règles du jeu et l’animation d’ateliers avec les porteurs de projets jusqu‘au dépôt des permis de construire nous permettent d’accomplir cette seconde mission. Comme paysagiste, j’ai la chance d’être invité à intervenir à ces deux étapes essentielles de la ZAC (zone d’aménagement concerté) : l’élaboration des espaces publics et l’esprit des constructions de l’éco-quartier. Nous travaillons aussi avec un bureau d’experts de l’arbre, « Aubépine ». Nous avons eu recours à eux dès le départ pour faire une cartographie écologique du site : inventaire des arbres et des sols, préalable à tout développement du projet. Aux activités industrielles successives correspondent différents âges d’abandon donnant lieu à des niveaux de reconquête végétale différents, plus ou moins durables à leur tour. Le paysage est aussi le résultat de la bienveillante attention des services des jardins des deux communes. Ils nous ont demandé d’avoir une approche écologique concernant le volet végétal : pas d‘arrosage automatique, association du ruissellement et de l’arrosage, récupération des eaux de pluie. Les nouveaux arbres ont été implantés là où ils peuvent être arrosés. D’autres ont été conservés à leur emplacement. Les arbres coupés sont broyés sur place pour fertiliser les sols. Les chênes, rois de la zone, ont souvent trouvé seuls le chemin vers l’eau. Ils côtoient bouleaux, trembles, frênes, saules, peupliers, moins pérennes. Nous avons néanmoins replanté ces mêmes essences, adaptées à un faible entretien, en privilégiant les associations écologiques entre les arbres. Ainsi le jardin façonne le visage du site. Les urbanistes élaborent un quartier diversifié (mixité d’occupation, mixité de formes urbaines, mixité générationnelle). En toile de fond, nous avons un objectif de biodiversité. Il faut tirer le maximum du patrimoine végétal (naturel et planté) et en faire l’armature verte du quartier, une éponge végétale à l’intérieur de laquelle on construit pour que d’autres puissent l’habiter un jour ! Tâche difficile ! Pour en savoir plus : le site dédié au projet
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