Irrigation des cultures : les besoins augmentent mais pas la ressource !

L’été 2022 a été particulièrement sec et chaud et les étés à venir devraient l’être aussi : une baisse de 10 à 20 % des précipitations est en effet attendue d’ici la fin du siècle, liée au changement climatique. La question de l’usage de l’eau estival est de nouveau posée. Arrosage ou pas ? Même si l’agriculture française utilise en majorité de l’eau de pluie, un agriculteur sur six utilise l’irrigation pour certaines cultures dans certaines régions. Est-il possible d’en réduire l’usage, comment, et avec quelles conséquences ?  

Est-il possible de réduire l’usage de l’eau en agriculture, comment, et avec quelles conséquences ?  ©SEMAE-Joao de Moura

Les besoins en eau ne sont pas une variable d’ajustement

Les plantes ont besoin d’eau pour croître. Cette eau provient de l’évaporation des océans sous l’effet du rayonnement solaire. Cette eau dessalée est celle des rivières, des nappes souterraines mais aussi celle stockée dans les sols après les pluies et qui est « transpirée » par les plantes. Or le réchauffement climatique diminue la réserve en eau et augmente l’évapotranspiration. Les besoins augmentent et les pertes aussi. 

L’agriculture est aujourd’hui le secteur qui consomme le plus d’eau

L’irrigation à elle seule mobilise les trois quarts de tout le volume d’eau consommé dans le monde. 
Il faut 1150 m3/an d’eau pour nourrir chacun des 7,2 milliards d’habitants, soit dix fois plus que l’eau domestique. Mais surtout, la consommation mondiale d’eau agricole a été multipliée par six entre 1900 et 1975. En cause, les cultures irriguées comme le riz mais aussi le maïs et certaines céréales, les récoltes à fort rendement, la diversification des productions dans certaines régions…
Faut-il renoncer à l’irrigation ? Pas si simple, car l’agriculture irriguée produit plus de 40 % de l’alimentation mondiale sur moins de 20 % des terres. Y renoncer, c’est compromettre la sécurité alimentaire et risquer une hausse du prix de l’alimentation.

Quelle est la tendance en France ?

Après avoir triplé de 1970 à 2000, les surfaces irriguées ont diminué de 12 % entre 2000 et 2010 [1]. On constate que les régions du Sud sont moins irriguées, alors que certaines régions comme le Centre et le Nord ont vu leurs surfaces irriguées augmenter. Cela peut s’expliquer par une meilleure efficience de l’irrigation, mais aussi par des changements de cultures.

Développer des cultures et des variétés moins gourmandes en eau

L’adaptation des cultures au manque d’eau est déjà en cours. Par exemple, les agriculteurs modifient leurs techniques agronomiques, en diversifiant les rotations avec davantage de cultures d’hiver (blé dur, colza, légumineuses…), et en plantant des espèces plus tolérantes à la sécheresse (niébé, sorgho, quinoa, sarrasin).
La sélection variétale est fortement mise à contribution car les plantes des zones arides, connues pour leur tolérance à la sécheresse, nécessitent d’être acclimatées à nos régions. De plus, beaucoup de cultures ont besoin de recherche accélérée pour certains caractères comme la résistance aux maladies qui impactent lourdement les rendements. C’est notamment le cas de certaines légumineuses, dont la productivité doit être améliorée afin qu’elles fournissent assez de protéines.
Il n’y a pas de cultures miracles en situation de manque d’eau, mais on observe des « migrations » de plus en plus marquées vers le nord de la France avec, par exemple, des cultures de sorgho installées en Ile-de-France depuis peu. La question du travail du sol est aussi posée : un sol aéré et riche en microorganismes stocke mieux l’eau qu’un sol compacté et dégradé, sur lequel ruisselle l’eau.

Augmenter l’efficacité de l’irrigation pour économiser l’eau

L’irrigation permet d’augmenter les rendements pour toutes les cultures. Toutefois, les économies sont possibles à l’échelle de la parcelle. Une majorité d’agriculteurs utilisent encore l’aspersion qui est peu efficace. Or, il existe des systèmes de microaspersion, goutte à goutte de surface ou enterré, couplés à des outils d’aide à la décision qui permettent de faire de réelles économies en apportant la bonne quantité d’eau au bon moment. Si ces systèmes sont couteux à installer, l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) a déjà développé des outils pour évaluer les économies d’eau, et démontré des économies possibles de 15 à 40 %.

Les retenues d’eau demandées par les agriculteurs

Au-delà des barrages, il existe déjà de nombreux ouvrages de retenues d’eau. Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire reconnaissait en 2015 que « l’accroissement des disponibilités naturelles au moyen de retenues de stockage hivernal est bénéfique tant sur le plan environnemental que socio-économique. On préserve à la fois les ressources d’eau et on soulage les irrigants de la contrainte hydrique. » 

Reste que les coûts d’investissement des retenues de stockage peuvent représenter plus de 80 % du prix de revient de l’eau d’irrigation et nécessitent des financements publics. 
Toujours selon le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, « le besoin en retenues d’eau (principalement dans le grand Sud-Ouest) équivaudrait à 300 millions de m3 pour résorber les zones chroniquement déficitaires. Un objectif accessible en dix ans, mais à la condition que le débat sociétal soit convenablement apaisé. » Malgré un été très sec, le débat sociétal reste parfois vif, avec des destructions de retenues collinaires par des activistes au prétexte de conséquences négatives au niveau environnemental. En la matière, les avis des experts divergent sur le bien-fondé des retenues d’eau.

Réutilisation des eaux usées

Il existe aussi des solutions encore peu explorées, comme la réutilisation des eaux usées, dont les Assises de l’eau ont préconisé le triplement. Le taux est inférieur à 1 % en France, contre 2,4 % en Europe, et 85 % en Israël ! Le procédé est coûteux en énergie mais peut être pertinent en régions péri-urbaines ou proches de stations d’épuration. Tracées et sécurisées, ces eaux peuvent contenir volontairement des nutriments naturels qui évitent l’usage d’intrants chimiques.

Vers une gestion plus globale et durable de l’utilisation de l’eau

Diminuer les besoins intrinsèques des cultures en eau, adapter les cultures et modifier les rotations, rendre plus efficiente l’irrigation, les innovations ne manquent pas pour aller vers un usage plus durable de l’eau en agriculture.
Néanmoins, l’eau est devenue un enjeu collectif. Les besoins en eau vont de facto augmenter, mais pas la ressource, et cela, quel que soit l’usage - privé ou public !  Une gestion plus globale devra, certes, se mettre en place, mais le rôle des agriculteurs demeure primordial : celui de nourrir la planète, en quantité et en qualité !

Marie Rigouzzo

[1] Source Inrae : 
Dossier Irriguer différemment

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