Biocarburants : deux générations qui ne cessent de s'améliorer

L’or noir… une ressource précieuse qui nous a permis de rouler toujours plus loin et toujours plus vite. Mais une ressource finie, dont les réserves commencent sérieusement à baisser. D’où l’importance de développer des biocarburants. Car ils permettent, d’une part, de réduire de façon importante les émissions de CO2 d'origine fossile et, d’autre part, de sortir le transport de la dépendance énergétique du tout pétrole, explique l’ADEME note [1] : « Les carburants issus de la biomasse constituent dès à présent la réponse la plus concrète à ces enjeux. » Et des objectifs concrets ont été fixés : en 2020, la France devra avoir incorporé 10 % de biocarburants dans l’énergie dévolue aux transports.

Pur ou en mélange ?

En France, on a préféré mélanger les biocarburants aux carburants pétroliers plutôt que de les utiliser sous forme d’huile végétale pure. La raison : les 36 millions de voitures françaises peuvent en bénéficier immédiatement, sans aménagements de la part des constructeurs automobiles qui ne semblent pas enclins à agir dans ce sens. Il faut dire qu’ils doivent déjà se plier à un cahier des charges environnemental très exigeant… A tel point que les niveaux de dépollution actuellement exigés sont tels que les atouts éventuels des biocarburants s'estompent et même peuvent s'inverser. « L’intérêt des biocarburants, et sans doute leur avenir, apparaissent de plus en plus liés à leur contribution à la réduction des émissions de CO2, souligne l’Ademe note [1]. On retiendra qu'une combustion de bioéthanol permet de diviser l'émission de CO2 d'origine fossile par un facteur de 3 à 7 et par un facteur 4 pour le biodiesel par rapport à la même quantité d'énergie d'une combustion d'essence de pétrole. »

Une première génération de biocarburants, comprenant le biodiesel…

Mais quelle est la différence entre bioéthanol et biodiesel ? Le biodiesel, également appelé « biogazole » ou « diester », est fabriqué à partir de plantes produisant de l’huile (colza, tournesol, Jatropha, caméline, etc.). L’utilisation du biodiesel de tournesol permettrait de diminuer de 73 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à la consommation d’un gazole conventionnel. Une réduction moindre pour le biodiesel issu du colza, de 60 %. « Le colza représente en France la culture énergétique la plus importante en surface utilisée, indique l’Inra note [12]. Le biodiesel est le biocarburant privilégié en France. En 2006, la surface de colza énergétique était de 0,68 millions d’ha, contre 0,71 millions pour les usages alimentaires et les autres usages industriels. Pour augmenter la production de biodiesel, il est nécessaire d’améliorer le rendement énergétique du colza. Pour cela, l’une des voies consiste à obtenir des variétés à haut rendement dédiées à cet usage. Les recherches coordonnées des scientifiques de l’Inra et des sélectionneurs se concentrent depuis quelques années sur la production d’hybrides de colza. » Une évolution saluée par l’Académie des technologies dès 2006 : « On doit aux organisations interprofessionnelles une remarquable évolution de la qualité des semences mises à la disposition des agriculteurs et des grains livrés aux industries de transformation ; l’interprofession des oléo-protéagineux a été spécialement active et performante pour assurer le développement de filières industrielles (biocarburant) [...]. »

… et le bioéthanol qui fournit plus d’énergie qu’il n’en consomme

De son côté, le bioéthanol (ou ETBE pour Ethyl Tertio Butyl Ether) est un alcool issu du sucre contenu dans la betterave à sucre, la canne à sucre ou les céréales (blé, maïs, etc.). Après avoir subi une opération de déshydratation, il peut être incorporé directement à l’essence SP95 jusqu’à 10 %. Ce que supportent 75 % des moteurs du parc automobile essence de l’Hexagone et ce qu’encourage la réglementation française. On le trouve à hauteur de 5 % dans le SP95 et le SP98, 10 % dans le SP95-E10 (disponible dans plus de 30 % des stations-services et qui représente 22 % du volume des essences distribuées en France note [8]) et 85 % dans l’E85 (il faut alors un véhicule dit FlexFuel avec un moteur adapté). Cette filière bioéthanol semble en mesure de satisfaire l’exigence du Plan Biocarburant français, à savoir 10 % de bioéthanol dans l’essence en valeur énergétique en 2015. Sans compter qu’il permettrait de réduire en moyenne de 60 % les émissions de gaz à effets de serre par rapport aux carburants fossiles et de restituer presque deux fois plus d’énergie qu’il n’en nécessite pour être produit note [7]. « Un hectare de céréales transformé en bioéthanol annule les émissions de gaz à effet de serre de trois voitures roulant exclusivement à l'essence », illustre la Fnsea note [11]. Le tout sans que le bioéthanol ne concurrence l’alimentation : seules 3 % des surfaces cultivées en betteraves et en céréales suffisent pour satisfaire aux exigences européennes actuelles.

Comment s’annonce le long terme ?

Dans le même ordre d’idées, la Commission européenne estime que l’incorporation, à l’horizon 2020, de 10 % de biocarburant dans les carburants ne mobilisera que 15 % des surfaces agricoles européennes note [6]… grâce notamment aux progrès agronomiques et au développement de nouvelles technologies industrielles dites de seconde génération à l’horizon 2015. Ce qui en rassure certains : « Les objectifs que la France et l'Union européenne se sont donnés restent raisonnables et ne remettent pas en cause les équilibres alimentaires / non-alimentaires, ni même les exportations de céréales », estime la Fnsea note [11]. Certes, mais qu’en est-il d’objectifs plus ambitieux ? « Les filières actuelles alcool et huile d'origine alimentaire ne permettront pas pour le long terme des croissances importantes des taux de substitution du pétrole transport au-delà de 20 % », estime de son côté l’Ademe note [1], qui recommande d’investir massivement dans les programmes de recherche variétale et d’innovation industrielle. Autres freins : la limitation des terres disponibles en jachère (dont la surface dépend des évolutions de la politique commune agricole européenne) et les différences de rendements à l'hectare. Vu sous l’angle financier, les biocarburants de première génération ne semblent pas rentables à ce jour: « Aucune des deux filières ne peut être considérée comme compétitive sans un soutien économique ou fiscal », souligne l’Ademe note [1]. De son côté, la Cour des comptes, qui a mené une évaluation de la politique d'aide aux biocarburants en France en janvier 2012, estime que les consommateurs ont déboursé trois milliards d'euros de plus pour les biocarburants, en raison d'une consommation plus importante et de mesures fiscales.

La deuxième génération toque à la porte…

Néanmoins, cette première génération est encore en évolution. Reste en effet à améliorer les procédés de production pour atteindre des gains significatifs en termes d'efficacité énergétique. En attendant, nombreux sont ceux qui se penchent sur d’autres ressources agricoles pour produire ces biocarburants. Car il devient possible de valoriser des parties des plantes qui le sont insuffisamment aujourd’hui (paille, copeaux de bois, déchets agricoles), mais aussi des plantes peu utilisées et qui n’entrent pas en concurrence avec les cultures alimentaires. En effet, les cultures dites énergétiques (manioc, sorgho, Miscanthus, Switchgrass, Phalaris etc.), ainsi que les déchets végétaux (pailles de céréales, rafles de maïs, tiges de colza, etc.) pourraient permettre de produire du bioéthanol note [3]. C’est ce qu’on appelle les biocarburants de deuxième génération. « Les ressources en biomasse lignocellulosique représentent une source d’énergie renouvelable tout à fait considérable, presque deux fois la consommation mondiale d’énergie primaire en 2004 », évalue l’Ademe note [1]. Deux cas se présentent. Première option : utiliser les résidus secs agricoles (les déchets de la récolte et de la transformation industrielle) pour générer des combustibles liquides. « Le gisement énergétique potentiel représenté par ces résidus s'élève en 2004 à un peu plus de 40 Mtep pour la France », calcule l’Ademe note [1]. La sélection variétale a ici un grand rôle à jouer. Jusqu’alors, elle avait contribué à optimiser la partie de réserve des plantes (graines du blé, de maïs, etc.) au détriment de la partie lignocellulosique (tige, feuille). Elle devra donc s’intéresser à retrouver ce caractère important. Seconde option : implanter des cultures dédiées, annuelles ou pluriannuelles, qui peuvent produire de la biomasse lignocellulosique à usage énergétique. L’Inra focalise actuellement ses efforts sur les plantes herbacées pérennes récoltées tous les ans, de type Miscanthus ou Switchgrass. « Ces différentes espèces ont fait l’objet de très peu de travaux de sélection variétale, d’analyse des interactions entre le génotype et son milieu, de mise au point d’itinéraires techniques adaptés et d’analyse de leur insertion dans les systèmes de culture existants », constate l’Institut note [16]. Attention toutefois : les espèces susceptibles de produire ces biocarburants de deuxième génération sont envahissantes : il s’agira donc de les gérer avec prudence !

… mais n’est pas encore prête à faire son apparition !

« Ces biocarburants de deuxième génération amélioreront les bilans environnementaux car ils utilisent la plante entière, et non pas uniquement la graine ou l’huile, et nécessitent en principe peu d’intrants », indique Jean-François Gruson, chef du département économie à l’Institut Français du Pétrole (IFP) note [15]. Pour la Commission européenne, la contribution apportée par les biocarburants produits à partir de déchets est considérée comme équivalant à deux fois celle des autres biocarburants (la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009). « Ils fournissent de bons résultats en termes de bilan des gaz à effet de serre et dépassent probablement les réductions des émissions réalisables par toute technologie de première génération. Mais ils ne sont pas encore commercialement rentables », rappelle la FAO note [2]. Il faudra probablement attendre 2015-2020 pour qu’ils deviennent une réalité économique et industrielle. Pour hâter le processus, les chercheurs sont en pleine effervescence intellectuelle. Ils essayent de déterminer comment, à partir de matière végétale non comestible, produire de l’éthanol. Deux voies sont explorées : la voie biotechnologique qui vise à extraire les sucres de la partie lignocellulosique (tige, feuille) pour ensuite les transformer en bioéthanol grâce à un processus de fermentation à l’aide de micro-organismes, et la voie thermochimique qui vise à gazéifier la biomasse lignocellulosique pour obtenir un gaz de synthèse qui peut ensuite être transformé en hydrocarbures.

La voie à privilégier : le mix énergétique

Malgré tous les bénéfices attendus de ces biocarburants issus de sources lignocellulosiques, certains scientifiques estiment qu’ils provoqueront des émissions de carbone plus élevées que l’essence par unité énergétique, en moyenne sur la période 2000-2030. En cause : les terres nécessaires pour cultiver des arbres à croissance rapide et des feuillus déplaceront des cultures alimentaires et provoqueront une déforestation pour faire de la place à de nouvelles superficies agricoles, ce qui sera à l’origine d’importantes émissions de gaz à effet de serre note [9]. Il faudra donc attendre encore plus longtemps que prévu pour cette filière révèle finalement son potentiel. La conclusion revient à Philippe Tillous-Bordes, directeur général de Sofiprotéol : « La deuxième génération de biocarburants ne se substituera pas à la première. Les produits peuvent se mixer. L'ensemble des ressources est important dans le mix énergétique de demain » note [15].
Sources : [1] Commission Interministérielle pour les Véhicules Propres et Economes - Recommandations pour un développement durable des Biocarburants en France - Rapport du groupe de travail sur les biocarburants - 15 janvier 2006 [2] L’avis de la FAO sur les biocarburants – Juillet 2012 – voir le site de la FAO [3] Les industriels de l'alcool et du bioéthanol [6] Commission européenne « Le boom des biocarburants : implications pour l’industrie automobile, l’agriculture et l’énergie ». Juillet 2007, Global insight [7] Site www.bioethanolcarburant.com [8] Site de la CGB, Confédération générale des planteurs de betteraves [9] et [10] Site www.diester.fr [11] Site de la FNSEA [12] et [16] Sur éducscol : Carbone renouvelable et énergie verte. Les recherches de l'INRA. [11] Article de www.campagnesetenvironnement.fr
Les premières analyses de cycle de vie publiées par l’ADEME en avril 2010 étaient pleines d’espoir : selon elles, les biocarburants permettaient des économies de gaz à effet de serre (GES) allant de 60 à 80 % par rapport aux carburants fossiles. Néanmoins, les écologistes estiment que n’ont pas été pris en compte le changement d’affectation des sols. Il peut s’agir de l’impact de la conversion de forêts, pâturages, etc., en terres arables destinées à la production de biocarburants, ou du lien entre l’implantation d’une culture de biocarburants sur une parcelle, et un changement d'affectation des sols ailleurs sur la planète, et ses conséquences. Ce dernier impact est en cours d’évaluation par l’ADEME qui devrait publier deux études sur le sujet en 2012. De son côté, l’Union européenne s’est positionnée en définissant les biocarburants durables : ils doivent conduire à une baisse d’émissions de GES d’au moins 35 %, un chiffre qui atteindra 60 % en 2018. En outre, ils devront être produits sur des terres pauvres en matière organique et en biodiversité. Seront exclues les forêts primaires, les zones protégées ou abritant des espèces protégées, ou encore les prairies. Et si les industriels ne mettent pas en place des mesures de restauration des terres dégradées et de protection des sols, de l’eau et de l’air, ils ne pourront prétendre à aucun soutien financier !
Les cultivateurs de betterave peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Qu’ils décident de cultiver des betteraves pour en faire du sucre en morceaux ou du biocarburant, leur travail sera le même ! En effet, certaines variétés actuellement disponibles permettent de dépasser le rendement minimum de 15 tonnes de sucre par hectare. Et plus il y a de sucre, plus il y a - si le marché est intéressant - d’éthanol à la clé… sans compter que le prix de vente des betteraves augmente d’autant plus fortement que leur teneur en sucres est plus élevée (18 euros la tonne pour 16 % de sucres versus 24 euros la tonne pour 17,5 % de sucres selon le semencier KWS).
Les biocarburants s’infiltrent partout… même dans les avions de guerre ! En témoigne cette expérience de l’US Navy qui a alimenté un avion de guerre de brouillage électronique légendaire, l’EA-6B Prowler, avec un mélange comprenant un carburant d’aviation classique (JP-5) et de l'huile de cameline. Cette plante oléagineuse se trouve sur le devant de la scène des biocarburants, car elle présente des teneurs en huile de 30 à 40 %, et au cœur du programme de biocarburant de l'US Navy, lancé en 2009 dans le cadre d'un plan visant à limiter les rejets nocifs pour l'environnement et réduire la dépendance de la marine américaine aux énergies fossiles. Source : article de 2011, sur le blog Défense et environnement
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