Repenser les pratiques agricoles
Les agriculteurs ont déjà modifié les dates de plantation, avec des semis plus précoces dans toutes les grandes cultures. C’est un risque en cas de gelée tardive, mais cela permet par exemple des récoltes de blé avant les épisodes de sécheresse de début d’été, tout en réduisant le besoin en irrigation.
Les implantations selon les saisons (semis d’hiver/semis d’été) ou les rotations des cultures (un peu délaissées ces dernières années) peuvent aussi modifier le sol et mobiliser de manière plus efficace les réserves d’eau du sol. Par exemple, introduire une jachère permet de stocker et conserver l’eau. La pratique du semis direct avec paillis participe aussi à l’économie de l’eau en permettant d’éviter des irrigations au semis. La densité de semis ou l’apport azotée peuvent aussi être des « boosters » de croissance qui peuvent compenser des pertes ultérieures.
De plus, la sensibilité au stress hydrique n’aura pas les mêmes conséquences si l’espèce est cultivée pour les grains (fragiles) ou pour les organes végétatifs (qui peuvent repartir quand les conditions redeviennent favorables).
De manière plus drastique, il peut être envisagé d’abandonner une culture au profit d’autres, par exemple le maïs pour le sorgho ou le tournesol qui ont des racines plus profondes et qui résistent mieux à la sécheresse.
Court terme et long terme
Pour le très court terme, il est possible d’installer des équipements qui protègent du soleil et qui permettent de mieux gérer l’irrigation. A petite échelle, une start-up comme Ombrea propose des ombrières intelligentes pour des espèces à forte valeur ajoutée, type maraîchage, horticulture, arboriculture et viticulture. A plus grande échelle, les instituts techniques comme Arvalis-Institut du végétal ont développé, dans le cadre du projet Phénofield, huit serres mobiles, ou « parapluies roulants », qui couvrent au total 5 000 m². 500 micro-parcelles de maïs, de blé et d’autres espèces de grandes cultures sont ainsi observées pour mieux comprendre l’adaptation au stress hydrique.
D’ores et déjà, des bassins de rétention d’eau pluviale sont mis en place pour stocker l’eau d’hiver, non sans rencontrer des problèmes administratifs et certaines résistances sociétales. Les systèmes d’irrigation eux aussi s’affinent, avec du goutte à goutte « intelligent », contrôlé par des capteurs. Mais ces solutions sont coûteuses car très techniques. Elles ne seront donc pas accessibles à la majorité des agriculteurs et des cultures.
Proposer des variétés précoces ou tolérantes à la sécheresse
Pour esquiver ou pour s’adapter au manque d’eau, l’amélioration variétale apporte déjà des solutions. Par exemple, en sélectionnant des variétés adaptées compatibles avec des semis précoces, les maïsiculteurs ont avancé le cycle du maïs fourrage et sa récolte de plus d’un mois depuis les années 1980. Il est possible de choisir des variétés plus précoces pour toutes les cultures, ou d’en trouver de nouvelles mieux adaptées.
Biodiversité et génétique : un duo gagnant
La sélection et l’amélioration des plantes se sont faites essentiellement sur le critère de la productivité et de la qualité nutritionnelle. C’étaient les objectifs prioritaires d’après-guerre. Aujourd’hui, la prise de conscience des effets du changement climatique accélère la recherche d’une meilleure résilience des cultures à la sécheresse, notamment en réévaluant des plantes sauvages ou des variétés d’autres régions qui s’avèrent plus résistantes au manque d’eau.
Car l’efficacité d’utilisation de l’eau est très différente selon les espèces. Les espèces tropicales, par exemple, ont des systèmes de photosynthèse plus efficaces que les espèces des zones tempérées et évitent de maintenir les stomates ouverts et donc les pertes d’eau. C’est donc un modèle intéressant à « importer » chez les plantes des zones tempérées. Mais plus facile à dire qu’à faire…
Tester beaucoup de variétés pour différents critères
Car l’adaptation à la sécheresse est complexe. Elle fait intervenir de nombreuses voies métaboliques et les stratégies « génétiques » sur un seul gène ne sont pas toujours satisfaisantes. C’est pour cela que de nombreux travaux de recherche portent plutôt sur une amélioration « plurifactorielle » à la sécheresse. Elle consiste à comparer les variations des caractères obtenus au champ sous différents stress et les variations du génome, pour rechercher les meilleurs plantes candidates. Les caractères recherchés sont, par exemple, la croissance des feuilles et des organes reproducteurs, le taux d’avortement des grains, mais aussi l’architecture du système racinaire et l’efficience d’utilisation de l’eau (rapport transpiration/biomasse produite).
Simuler le comportement des plantes par ordinateur
Dans le cadre européen DROPS, auquel est associé l’INRA (l’Institut national de recherche agronomique), les chercheurs testent un grand nombre de plantes (maïs, blé tendre et blé dur) pour simuler par ordinateur le comportement des plantes sous stress hydrique, et sélectionner celles qui devraient entrer dans un programme d’amélioration variétale.
Une intelligence et des efforts collectifs
Mais il faut une dizaine d’années aux sélectionneurs pour proposer aux agriculteurs les plantes les plus adaptées à leurs contraintes. Or, si la résistance à la sécheresse devient un enjeu majeur déjà perceptible, même sous nos climats, les solutions ne sont pas évidentes. Malgré de nouvelles perspectives offertes par les biotechnologies, la génétique seule n’y répondra certainement pas. Elle devra être associée à de nouvelles pratiques culturales (rotations, dates de semis, choix de variétés précoces, couvert des parcelles, cultures intermédiaires…), voire à des choix de cultures différents. On parle déjà de vignes et de maïs majoritaires au nord de la Loire ! Scénario de science-fiction ? Non, une étude prospective de l’INRA !
En tout cas, avec la raréfaction de l’eau, les agriculteurs, mais aussi tous les acteurs industriels, devront rapidement œuvrer conjointement, pour produire avec un minimum d’eau, et au bon moment ! Et les solutions techniques se préparent dès à présent.
Marie Rigouzzo