Voyage au cœur des frites et des chips

Blondes, brunes, dorées à point : les frites et les chips nous régalent ! Mais qui peut imaginer qu’il aura fallu 15 ans de recherche et développement pour qu’elles puissent arriver croustillantes dans notre assiette ?

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A chaque usage ses variétés

Les frites, ce n’est pas qu’une affaire de cuisson. Il faut des variétés de pomme de terre adaptées : qui ne brunissent pas trop à la cuisson, qui restent moelleuses à l’intérieur, avec un goût agréable. Et aussi une forme régulière, une belle peau lisse facile à éplucher, un aspect tentant sur les étals des commerçants ou des grandes surfaces.

Chaque usage exige des variétés différentes. Les variétés cuisinées par les consommateurs ne sont pas les mêmes que celles utilisées par les industriels, lesquelles se distinguent encore selon leur transformation en chips, en frites ou en fécule. Il se dessine aussi une sélection spécifique pour les flocons de purée en sachets. Résultat : on a le choix entre 232 variétés en France.

Le sélectionneur doit penser à tout !

Pour les frites surgelées, les industriels attendent des pommes de terre plutôt longues. Pour leurs clients fast food, il y a même une longueur précise pour pouvoir présenter facilement les frites en cornet. Pour les chips, au contraire, les pommes de terre doivent être rondes et assez petites, afin de ne pas gêner l’étanchéité de la fermeture des sachets de 80 grammes.

Pour ces créneaux des produits frits, la sélection variétale s’opère aussi sur la teneur en sucres. La pomme de terre est riche en amidon et contient de faibles doses de sucres « réducteurs » (glucose et fructose) qui réagissent avec des acides aminés lors de la cuisson à plus de 120°, provoquant la coloration des frites et des chips.

La teneur en sucres réducteurs à la récolte dépend principalement de la variété, de son état de maturité et de la façon dont l’agriculteur a conduit sa culture. Mais ces sucres ont tendance à s’accumuler dans le temps tout au long du stockage et avec le vieillissement de la pomme de terre. Et le stockage peut être long : 9 mois pour les chips entre la récolte des tubercules en septembre et leur transformation, au plus proche de leur consommation, à partir de mai-juin. Le stockage à très basse température (3-4°C) permet de mieux conserver les pommes de terre, mais favorise aussi la concentration des sucres réducteurs. Les fabricants de chips et de frites doivent donc stocker à des températures un peu plus élevées (6-7°C) pour maîtriser à la fois la germination et limiter la teneur en sucres, qui dégradent la couleur des produits frits.

Le sélectionneur s’efforce d’obtenir une teneur en sucres la plus faible possible dans ses variétés, afin qu’elles conservent dans le temps, leur aptitude à être transformées en frites et chips de la couleur voulue. De plus, la réaction à l’origine de la coloration est également responsable de la formation d’acrylamide, un composé indésirable. Certains industriels exigent que celui-ci soit en-dessous des taux indicatifs recommandés par la Commission européenne (0,1 % maximum dans les chips, 0,06 % dans les frites).

Gisèle Lairy-Joly, sélectionneuse chez Germicopa, explique : « La sélection pour l’industrie des chips est le créneau le plus exigeant, du fait de la durée de stockage et de la finesse de la coupe du produit qui le rend encore plus sensible à une coloration trop foncée et à l’accumulation d’acrylamide par rapport aux frites. Il existe un potentiel génétique pour y arriver, bien que la tâche soit extrêmement difficile, parce que la nature même de la pomme de terre c’est d’être faite d’amidon et de ces glucides. ».

L’agronomie, l’environnement et le goût avant tout

Les premiers critères de sélection restent de nature agronomique : le tonnage à l’hectare, tant pour le revenu de l’agriculteur que pour l’approvisionnement de l’industriel, ou encore la résistance aux fléaux comme le mildiou ou d’autres maladies. En effet, la résistance génétique évite le recours aux produits de traitement phytosanitaire. S’ajoutent des considérations de plus en plus essentielles : une plante capable de rester bien vivante et de repartir après des stress climatiques comme des excès de sécheresse, de pluie ou des températures anormales.

Tout l’art du sélectionneur de pommes de terre consiste donc à réunir dans une même variété : du rendement, des résistances aux maladies, de la résilience aux aléas climatiques, une faible teneur en sucres qui reste la plus stable possible au cours du stockage et du transport, de la résistance aux chocs, des formes adaptées aux débouchés et, concernant le marché du frais, des peaux et des couleurs attractives. Le critère du goût n’est pas en reste, même s’il dépend fortement du terroir : « Tous les jours de novembre, de 9 h à 12h, nous goûtons les pommes de terre cuites ; 1 000 échantillons dans le mois ! », témoigne notre sélectionneuse. Quand on fait un métier avec passion, on donne de sa personne !

Isabelle Ferrière

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