Produire des semences bio, ça a du sens !

Installé en maraîchage depuis douze ans, Samuel Gohier s’est lancé dans la production de semences bio. Selon les espèces, le défi technique et le risque économique sont plus ou moins présents.

Samuel Gohier, maraîcher et producteur de semences bio : « Chaque agriculteur devrait multiplier au moins une variété pour maintenir la diversité des populations. » © Sabine Huet

« Au départ, mon objectif était de produire des légumes bio et de fabriquer mes propres semences. »  Mais le hasard des rencontres a conduit Samuel Gohier, maraîcher à Étriché dans le Maine-et-Loire, à multiplier des semences potagères bio pour des semenciers.
Comme tout bon maraîcher, il cultive la star des légumes, la tomate, notamment la ‘Coeur de boeuf ‘et l’‘Andine Cornue’. Mais ces variétés anciennes sont sensibles à la nécrose apicale ou « cul noir ». L’agriculteur teste tous les cultivars de la seconde sans trouver le cheval gagnant, jusqu’au jour où il croise un jardinier qui affirme détenir une souche résistante. Samuel met quelques graines en culture et constate effectivement une tolérance des tomates à la maladie. « J’ai continué la sélection sur plusieurs années, observé les plants mis en essais chez d’autres maraîchers et fait valider la variété ‘Andine Cornue des Fontenelles’ par le Geves (1) de Carpentras. »  Aujourd’hui, Samuel est devenu le mainteneur de cette variété qu’il multiplie pour plusieurs semenciers. Il produit également sous serre des semences bio de ‘Super Marmande’, une grosse tomate joufflue surnommée « Bonne sœur », de poivron orange ‘California Wonder’ et d’aubergine ‘Rosa Blanca’. « Les semenciers sont intéressés pour avoir de la diversité dans leur catalogue. » Chaque année, un contrat est signé pour une certaine quantité de graines à produire (250 g à 1 kg) et non pour une surface, comme c’est généralement le cas en grandes cultures. « Techniquement, c’est intéressant de multiplier des semences car la graine est l’aboutissement du cycle de la plante. Ça a du sens.»  Samuel a aussi à cœur de préserver des anciennes variétés, de maintenir la diversité des populations.
 

Pas de difficulté pour la tomate

La production de semences de ces légumes « fruits » d’été ne pose pas de difficultés techniques particulières. En effet, la conduite de culture est identique, que l’on récolte le légume à consommer ou la graine. « On récolte juste un peu plus tard en saison. » Les tomates sont ensuite écrasées dans une épépineuse qui sépare les graines de la pulpe. « Je peux valoriser la pulpe en jus ou sauce. » Puis, pendant plusieurs jours, le liquide de graines est brassé fréquemment pour l’oxygéner et initier la fermentation. Celle-ci permet de détacher les graines du sérum. Des rinçages à l’eau se succèdent alors pour éliminer les éléments organiques. Les graines obtenues sont mises à sécher sur des claies à l’air libre dans un endroit bien ventilé. « Une graine mal séchée noircit et perd sa faculté de germination. » Dernière étape, les graines sont frictionnées à la main pour bien les individualiser puis, deux à trois semaines plus tard, sont ensachées bien sèches et livrées au semencier. Il faut environ une tonne de tomates ‘Andine Cornue’ pour obtenir un kilo de semences. « Le prix dépend de la variété, de la quantité à produire, du contrat, du semencier. Certains payent mieux que d’autres. » Globalement, Samuel obtient la même rémunération que s’il vendait les tomates pour la consommation, avec l’avantage de ne pas subir de perte de récolte. La production de semences n’a jamais représenté plus de 25 % de son chiffre d’affaires. « C’est une activité complémentaire qui réclame du temps pour le palissage, l’édrageonnage, la récolte manuelle, le pressage et le nettoyage. »  Samuel embauche un salarié permanent et des saisonniers.

Le risque des bisannuelles

Si la tomate porte-graines se cultive sur une période courte, identique au cycle de la tomate légume, il en est tout autrement pour des espèces bisannuelles comme la betterave rouge ou le poireau dont la semence est récoltée un an ou plus après le semis. Ces plantes doivent dépasser le stade du légume et monter en graines. « Il se passe parfois deux ans entre le semis et le paiement des semences. C’est plus risqué économiquement car le cycle long impose des coûts de culture plus élevés, sans avoir la certitude de récolter la quantité de graines espérée. » La charge la plus lourde concerne le désherbage qui devient obligatoirement manuel dès que la végétation est trop imposante. Le suivi de culture est très différent car la plante est conduite jusqu’à la fin de son cycle. Elle entre en sénescence et devient très vulnérable, fragile, plus sujette aux maladies. Après deux années de déboires, Samuel a abandonné les bisannuelles. « Quand on encaisse 200 euros au lieu des 3 à 5000 euros attendus, on ne couvre pas les frais. Je ne pouvais pas continuer à prendre de tels risques. » Un jour peut-être, il retentera l’expérience.

Sabine Huet
 

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