L'avoine : une espèce à redécouvrir

Philippe Lemaire - Directeur général - Entreprise Lemaire Deffontaines

Quel est votre rôle au sein de l'entreprise Lemaire Deffontaines ?

Philippe Lemaire - Directeur général - Entreprise Lemaire Deffontaines
En tant que dirigeant de la société Lemaire Deffontaines, je définis avec nos sélectionneurs les orientations à prendre dans les différents programmes de sélection. Notre société familiale est implantée depuis 145 ans dans le Nord de la France. Sa particularité : améliorer, sélectionner et proposer dans son catalogue toutes les espèces de céréales à paille, sauf le blé dur. On parle d’espèces mineures, comme l’avoine ou le triticale, car elles ne sont cultivées que sur une petite partie des surfaces françaises (les surfaces cultivées en triticale concernent environ 300.000 hectares contre 508.000 pour le blé dur). Pourquoi avons-nous fait ce choix ? Car nous pensons qu’il est important de conserver une diversité d’espèces et de ne pas tout miser sur le blé tendre.

Combien de variétés d’orge et d’avoine présentez-vous dans votre catalogue ?

Nous disposons d’un catalogue variétal assez large en orge, avec douze variétés. Elles sont utilisées en alimentation animale en ce qui concerne les orges d’hiver fourragères ou en alimentation humaine, soit pour la bière, soit pour la floconnerie. Quant à l’avoine, nous en proposons cinq variétés : elles se répartissent entre l’avoine blanche, davantage destinée à la floconnerie pour l’alimentation humaine ou à l’alimentation animale dans les pays nordiques, et l’avoine noire, qui constitue une référence franco-française pour l’alimentation des chevaux normands. Nous sommes fortement présents sur le marché des semences en avoine car, en France, on ne compte qu’une douzaine de variétés cultivées. Mais il faut rappeler que les nouveautés mettent du temps à être commercialisées. En moyenne, nous lançons une à deux variétés d’orge chaque année, une tous les trois ans pour l’avoine. Nos programmes de recherche sur ces deux espèces requièrent les compétences d’une équipe de cinq personnes.

Quels sont les critères que vous recherchez pour ces nouvelles variétés ?

Pour l’avoine, nous privilégions le rendement, associé à un poids spécifique élevé (mesure de la densité du grain établie en pesant un volume connu de grain). Le deuxième critère qui retient notre attention repose sur la tolérance aux maladies et à la verse. Pour l’orge, on différencie l’orge fourragère de l’orge brassicole : pour la première, on recherche un bon rendement et un bon poids spécifique, alors que pour la seconde, on recherche des variétés demi-tardives pour l’Europe du Nord, et très précoces pour le pourtour méditerranéen. Je tiens à rappeler que le parcours de l’orge brassicole est très long. Il faut compter au moins trois ans pour obtenir le label « brassicole » qui permet à l’orge d’être utilisée par la profession. Actuellement, nous travaillons de plus en plus sur la rouille couronnée, un champignon qui affecte uniquement l’avoine. Pour faire face aux attaques sévères qui sont plus fréquentes depuis quelques années, nous avons mis en place un programme de recherche avec d’autres sélectionneurs, afin de déterminer les critères qui permettraient aux nouvelles variétés de résister davantage.

Avez-vous des demandes concernant la sélection de variétés riches en bêta-glucanes ?

Bien que nous entendions parler des bénéfices santé des bêta-glucanes vis-à-vis de la gestion du cholestérol, cette demande, que ce soit de la part des agriculteurs ou des industriels, n’est pas remontée jusqu’à nous. Ce n’est donc pas un critère sur lequel nous travaillons actuellement. A ce jour, on peut dire que nos clients évaluent davantage les qualités du grain, comme l’absence de mycotoxines, que sa composition intrinsèque. Mais il est important de noter que les variétés d’orge destinées à la fabrication de la bière doivent comporter le moins possible de bêta-glucanes. Ces variétés ne risquent donc pas d’être utilisées par les industries agro-alimentaires. Ce qui n’empêche pas ces dernières d’œuvrer activement : elles nous demandent de plus en plus qu’on leur envoie des échantillons et établissent une liste des variétés susceptibles de les intéresser.

Vous produisez également des semences biologiques. Pourquoi ?

Nous avons commencé à produire des semences biologiques vers 1997, à la demande de certains agriculteurs. Nous avons été les pionniers de cette production, qui s’est bien développée depuis, et concerne actuellement 15 à 18 % de nos ventes. Nos variétés d’avoine bio sont cultivées en tête d’assolement, tandis que l’orge fourragère, plutôt de printemps, est cultivée avec des pois ou de l’avoine pour faire de l’ensilage de céréales. Le cahier des charges de nos semences repose sur une certification du Service technique de l'interprofession des semences et plants pour la pureté variétale et spécifique, et la qualité de levée, et sur une certification par un organisme bio, tel que Qualité France ou Ecocert.

Conservez-vous d’anciennes variétés d’orge et d’avoine ?

Oui, bien sûr. En tant que sélectionneur, nous avons la nécessité de conserver d’anciennes variétés, car ce sont elles qui possèdent les caractéristiques initiales pour de futurs croisements. Nous gardons également des lignées qui ont été développées pour la recherche, mais n’ont pas abouti à des variétés commercialisées. Pour vous donner un ordre d’idée, nous détenons environ 200 variétés d’avoine. Nous disposons également de variétés d’origine plus exotique, australienne par exemple, ce qui nous permet de bénéficier de leurs gènes de résistance à certaines maladies.

Il semble que l’avoine ait depuis peu un nouveau débouché : le couvert végétal. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Une des obligations de la Politique Agricole Commune (PAC) concerne l’obligation de couvert végétal des champs pendant l’hiver. Or, l’avoine est un des moyens les moins onéreux d’y parvenir. En outre, elle est détruite par le gel hivernal et forme un mulch (couche de matière) sur le sol, qui est idéal pour la préparation du sol en février. En 2012, on pense que 90 % des surfaces cultivées devront bénéficier d’un couvert végétal pour l’hiver.
LG
MD
SM