Le miscanthus : solution d'avenir pour produire une biomasse durable

Pierre Malvoisin - Fondateur d’Aelred, société de biotechnologie

A quelle échelle intervenez-vous vis-à-vis de l’agriculture ?

Pierre Malvoisin - Fondateur d’Aelred, société de biotechnologie
J’interviens très en amont. Je travaille avec et pour les semenciers. Leur priorité : améliorer des critères agronomiques traditionnels, comme le rendement. Rares sont les échanges tournés autour de la production et de la qualité de la biomasse. Les semenciers impliqués dans la sélection variétale du sorgho fibres dans le programme « Biomasse pour le futur », auquel participe Aelred, pourraient se sentir concernés par ce débouché. Néanmoins, à l’heure actuelle, ils préfèrent utiliser leurs outils classiques et ne sont pas demandeurs de mon expertise.

Les semenciers sont-ils néanmoins disposés à changer leurs critères de sélection ?

Oui, ils se tiennent prêts. Ils sentent que leurs critères de sélection usuels vont être amenés à évoluer dans les prochaines années, sans trop savoir encore ce qui les attend. Actuellement, nous essayons de connecter l’amont et l’aval. C’est compliqué et c’est normal. L’amont dispose de moyens techniques et d’une expertise ciblée grâce au levier de la génétique qui peut s’avérer utile pour l’aval. Mais ce dernier n’est pas toujours prêt à payer les services de recherches génétiques en jeu, car il lui faudrait alors payer la production de biomasse pour sa qualité, ce qui se ferait potentiellement au détriment de sa marge.

Les filières s’organisent-elle pour ces nouveaux « bioproduits » ?

Les filières qui tournent autour des usages non alimentaires des plantes sont en cours de constitution. Il faut donc avancer pas à pas : les semenciers essayent de pressentir les attentes des industriels, qui peinent à livrer un cahier des charges précis. Nous n’avons donc pas encore atteint ce stade, même s’il s’agit d’une tendance de fond que de rapprocher l’amont et l’aval. Il existe des exemples réussis de mise en place de filière pérenne, comme dans le cas de la betterave à sucre, qui fonctionne avec des cultures sous contrat. Mais leur atout est le suivant : il ne s’intéresse qu’au sucre ! Mais comment créer une filière simple dans le cas de la chimie du végétal qui concerne une multitude de molécules ? Ce sera bien plus compliqué… A l’avenir, je pense que les industriels vont s’intéresser aux plantes par usage : telle plante pour tel agromatériau et telle autre pour les biocarburants. Car la rentabilité ne sera atteinte que si l'on sait valoriser l’ensemble des parties végétales sur un même site. Ce qui laisse présager la naissance de bioraffineries spécialisées dans l’exploitation d’une plante donnée, en son entier. Par exemple, du miscanthus exploité de A à Z sur un bassin d’approvisionnement local, avec une qualité normée pour éviter de devoir recalibrer les processus industriels, me paraît la seule voie envisageable pour être rentable.

Quelles plantes vous semblent les plus à même de répondre aux défis énergétiques de demain ?

Il me semble absolument impensable de mettre en avant des plantes à usage alimentaire, comme le blé ou le maïs. D’une part, parce que le monde agricole privilégie et privilégiera toujours les débouchés alimentaires et, d’autre part, parce que la société ne veut clairement pas qu’on utilise des cultures à vocation alimentaire pour d’autres utilisations. En France, cela semble inconcevable, contrairement aux Etats-Unis où le maïs mène la danse et au Brésil, avec la canne à sucre. Le souci de l’agriculture européenne est le suivant : nous disposons d’une agriculture très diversifiée, qui fonctionne bien en alimentaire. Le non alimentaire doit donc trouver sa place et démontrer sa rentabilité. Je crois en la biomasse et je suis un fervent partisan du miscanthus. Son intérêt : pouvoir participer à l’agriculture durable du 21e siècle en Europe. Car que va-t-on implanter sur les terres peu fertiles, avec les contraintes règlementaires de réduction d’intrants sur certaines zones qui sont les nôtres ? Des cultures écologiques, de type miscanthus, avec un impact très limité en termes d’intrants, peuvent répondre à cette donne.

Que reste-t-il à accomplir pour que le miscanthus devienne cultivable ?

L’utilisation du miscanthus n’est à ce jour pas évidente. Cette plante environnementale est originaire d’Asie. Nous sommes actuellement en train de l’adapter aux modes d’agriculture européenne. Je pense qu’on y parviendra en 2018-2020. L’énorme avantage dont nous bénéficions pour accélérer cette domestication consiste à nous appuyer sur les données de la génomique du maïs et du sorgho, qui sont abondantes et disponibles, car le miscanthus est très proche de ces deux plantes. Nous devons mettre en jeu tous les moyens dont nous disposons pour parvenir à cultiver le miscanthus, car son mode d’implantation actuel par rhizome ne me semble pas viable (trop coûteux et nécessitant un matériel de plantation adapté). En effet, les agriculteurs ne sont pas des forestiers. Il faut donc revoir complètement l’agronomie de la plante, pour en faire une culture semable par graines, pluriannuelle, de type fourragère, cultivée sur une période de temps plus courte (8 à 10 ans, contre 15 à 20 actuellement) . ce qui permettra à l’agriculteur de pouvoir faire face avec plus de souplesse aux fluctuations du marché.
LG
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