Etre un sélectionneur citoyen

Philippe Lonnet, Directeur de Recherche Céréales - Ets Florimond Desprez

Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier de sélectionneur?

Philippe Lonnet, Directeur de Recherche Céréales - Ets Florimond Desprez
L'aspect terrain, être au contact des plantes, choisir les plus belles, connaître les différents matériels génétiques. C'est difficile : il y en a des centaines de milliers dans les champs. Il y a aussi le travail d'équipe. Dans mon entreprise la recherche blé occupe 25 personnes. Enfin, la collaboration avec des chercheurs de l'INRA, des instituts techniques, ou avec des scientifiques d'autres pays.

Prenez-vous en compte les attentes actuelles de la société ?

En tant que citoyens nous regardons de près comment préserver mieux l'environnement en utilisant moins de pesticides. Nous travaillons les résistances génétiques aux maladies pour permettre aux agriculteurs de limiter les traitements fongicides. Le besoin de variétés résistantes est encore plus crucial maintenant que de nombreux produits sont interdits.

Comment répondez-vous à ces besoins ?

En créant des variétés améliorées, ce qui nécessite un processus de 10 ans environ. Le principe est de croiser deux lignées pour tenter d'obtenir à terme une variété combinant les qualités des deux parents sans leurs défauts. Parmi la descendance des croisements, nous choisissons les plantes selon leur hauteur, leur précocité, leur fertilité, leur résistance aux maladies, puis nous évaluons le rendement et la régularité de performance en petites parcelles de quelques m² représentant un champ réel. Le travail est considérable, chaque plante est suivie et tracée, à tout moment sa généalogie est connue. Il y a beaucoup d'opérations manuelles, par exemple au stade pépinière on récolte individuellement les épis avec des ciseaux !

Les sélectionneurs jouent-ils un rôle dans la préservation de la biodiversité ?

Les sélectionneurs ont toujours préservé les ressources génétiques : c'est la base de leur métier. En France, depuis une vingtaine d'années, les sélectionneurs privés et l'INRA se sont associés pour tout répertorier et monter un réseau des ressources génétiques en céréales. Nous avons créé ensemble une collection nationale de 1800 sachets de graines différentes de blé librement disponibles. Elle contient entre autres d'anciennes variétés françaises ou des variétés étrangères dont il se peut que nous soyons les seuls à les avoir encore. Elle est stockée à l'INRA mais les sélectionneurs contribuent à sa régénération régulière. Le nombre de variétés conservées a tendance à augmenter puisque la base s'enrichit régulièrement de nouvelles variétés ou de lignées confiées par les entreprises. Mais pour un sélectionneur, la richesse d'une collection ne s'évalue pas en nombre d'individus mais en termes de diversité pour faire face dans l'avenir à l'évolution des races de maladies ou du climat.

Comment pouvez-vous financer tout ce travail de recherche ?

La mise au point de variétés nouvelles est un processus long et de plus en plus coûteux. Nous consacrons 15 à 20 % de notre chiffre d'affaires à la recherche, en moyens humains, en investissements de laboratoires, de serres ou autres équipements. Ce travail à long terme nous fait manipuler des centaines de milliers de plantes chaque année pour déposer seulement 1 ou 2 variétés à l'inscription au catalogue officiel, 10 ans après le croisement initial – et pour une durée de vie commerciale de plus en plus courte, quelques années. Il est donc vital pour tout créateur de variété de pouvoir percevoir un droit d'auteur, s'il veut continuer à progresser et répondre aux besoins de la société sans cesse en évolution.
La sélection d'une variété de blé demande une dizaine d'années
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