Rencontre avec un artisan semencier passionné

Pierre Dorand

Depuis près de 20 ans, Pierre Dorand a façonné sa ferme pour en faire un vrai site expérimental. Il y multiplie plus de 120 variétés de légumes bio, de fleurs et d’herbes aromatiques mais continue, aussi, à créer de nouveaux cultivars. Soucieux de répondre aux attentes de ses clients et aux défis du changement climatique, il ne cesse d’expérimenter. Principaux critères recherchés : le goût, la rusticité et la productivité.

Pierre Dorand ©Anne Gilet

Après avoir grandi dans la banlieue parisienne, travaillé au Cameroun, au Canada, au Mexique et dans différentes régions françaises, Pierre Dorand a décidé, en 2005, de s’installer agriculteur, pour se consacrer à la multiplication de semences. La ferme de l’Aubépin a vu le jour à Briollay, dans le Maine-et-Loire, entre deux rivières, la Sarthe et le Loir, sur une ancienne friche. « J’ai toujours été passionné par l’agriculture au sens large, explique-t-il. Après avoir décroché un BTS agricole à Angers en 1982, j’ai souhaité découvrir de nouveaux territoires, de nouvelles pratiques. Dans les années 2000, j’ai repris une formation d’ingénieur à l’Esa d’Angers avant de devenir prof en lycée agricole puis agriculteur à temps plein. »
Mais l’Aubépin n’est pas une ferme classique. « Sur près de 20 ha, dont 3300 m2 de tunnels, répartis sur trois sites, je me consacre à la recherche et à l’amélioration de variétés adaptées aux cultures biologiques et aux pratiques agroécologiques, précise-t-il. Je me définis comme un artisan semencier. » Mais, derrière ce thème, se cachent de multiples activités. Car Pierre Dorand est à la fois sélectionneur, restaurateur, multiplicateur et trieur de semences, mais aussi conditionneur et distributeur.

Des variétés fixées... ou pas

À ce jour, le catalogue de la ferme de l’Aubépin rassemble plus de 120 variétés populations, de 40 espèces différentes, toutes sélectionnées en agriculture biologique et destinées à ce marché : des potagères mais aussi quelques fleurs et plantes aromatiques. Parmi les plus représentées : les carottes, choux, courges, laitues, oignons, poivrons et tomates.
Alors que l’innovation variétale est régie par des contraintes strictes, tant sur les volets économiques que politiques ou réglementaires, Pierre Dorand explique que, depuis 2021 et la mise en place du nouveau règlement bio, les choses sont un peu plus simples. « Une nouvelle voie s’est ouverte avec la possibilité de créer des MHB, des Matériels hétérogènes biologiques, indique-t-il. Un exemple. Pour une variété de melon, les critères Upov (Union internationale pour la protection des obtentions végétales) listent une soixantaine de critères à fixer pour que la variété soit considérée distincte des autres. Cela va de la forme de la feuille à la structure des inflorescences en passant par la forme du fruit, la couleur des graines ou la taille. Nous, nous avons choisi seulement quatre critères qui nous semblent incontournables : le goût, la conservation, la productivité et la rusticité. Notre premier MHB s’appelle Patoutafaifix, un cultivar sur lequel nous continuons à travailler pour, notamment, améliorer le goût sucré. Mais cette espèce se veut « plastique ». L’objectif est non seulement de produire des semences adaptées aux conditions locales, mais aussi de leur offrir la souplesse nécessaire pour prospérer dans d’autres régions, dans d’autres contextes pédoclimatiques. » Pour préserver la pureté variétale de nos semences, Pierre Dorand isole géographiquement les variétés d’une même espèce ou a recourt à des cages de pollinisation, garantissant ainsi un contrôle rigoureux des croisements.

Créer ses propres variétés ? Une certaine fierté !

Ce passionné d’innovation variétale s’attache, de la même façon, à sélectionner un cultivar de courgette verte en ciblant les critères suivants : longue, fine, cylindrique, productive et adaptée à la culture de plein champ. « Se focaliser sur quelques caractéristiques essentielles nous permet de gagner du temps sur l’échelle de la sélection et d’orienter aussi nos travaux en fonction des attentes de nos clients et des consommateurs », confie-t-il. Il reconnaît que « créer ses propres variétés génère une certaine fierté ». Ce qui est difficile en revanche, « c’est que je n’ai pas les moyens de breveter les variétés que je mets au point. De fait, le risque que d’autres collègues s’approprient mon travail est bien réel.» Quant à la rentabilité de son activité, il la juge « limite », avec un chiffre d’affaires compris entre 150 000 € et 200 000 € et trois équivalents temps plein de salariés à rémunérer. La plupart des ventes se font auprès de grossistes et d’ensacheurs mais aussi auprès de maraîchers et de particuliers de la région. « Nous avons également développé la vente en ligne (www.aubepin.fr) pour élargir nos débouchés », précise-t-il.

Chance et patience, au cœur du métier

Pour assurer les quantités de semences souhaitées, Pierre Dorand travaille avec cinq autres agriculteurs multiplicateurs répartis dans différentes régions, pour 10 à 20 % des volumes. « Car toutes les productions ne réussissent pas chaque année ! Avec ce métier, il faut aussi avoir de la chance... et de la patience. » Pour approvisionner ses clients quelles que soient les conditions de l’année, il dispose d’un stock important, l’équivalent en valeur de près de 90 000 €, qu’il conserve précieusement (cf encadré). De la patience, Pierre Dorand en fait preuve au quotidien, en observant, chaque jour, ses cultures. « Nous devons sans cesse nous adapter à l’arrivée de nouveaux parasites et au changement climatique. Ainsi, pour limiter les fortes chaleurs dans les tunnels, j’ai fait le choix de tunnels de petite taille : ils sont ainsi plus faciles à aérer. » Le labour fait également son retour, de temps en temps sur la ferme : « je me suis aperçu que sans lui, la gestion du désherbage était vraiment très compliquée. Se remettre en question fait aussi partie du métier. »

Anne Gilet

Pierre Dorand est bien plus qu’un agriculteur. Il est également :

  • Sélectionneur : le travail de sélection consiste à identifier et tester les variétés présentant un potentiel intéressant puis à les restaurer et/ou à les faire évoluer. On entre alors dans ce qui peut être qualifié d’innovation variétale. Les outils utilisés sont simples mais exigeants et cette étape peut demander de nombreuses années : sélection massale, sélection généalogique, croisements dirigés, etc.
  • Multiplicateur et trieur : l’objectif de la multiplication et du tri est d’obtenir suffisamment de semences de qualité. Les enjeux : garantir la pureté variétale, spécifique et l’état sanitaire des semences.
  • Distributeur : livrer les commandes à temps et dans les meilleures conditions. Être à l’écoute des clients en répondant à leurs questions, remarques et besoins. Mais aussi communiquer afin de faire connaître son travail.

La ferme de l’Aubépin collabore régulièrement avec SEMAE, le Geves, la Fnams, l’Itab et le réseau Semences Paysannes. « Cette implication nous permet de partager nos expériences, d’échanger nos idées et d’enrichir nos travaux variétaux grâce à une collaboration ouverte entre acteurs de l’agriculture biologique et conventionnelle », résume Pierre Dorand. Nous avons également rejoint l’association "Paysans de nature" en lien avec la LPO (Ligue de protection des oiseaux) en 2019, témoignant ainsi de notre engagement pour préserver et soutenir la biodiversité de nos terres. Dans cette optique, nous enrichissons également nos écosystèmes agricoles avec des haies, des mares et des bosquets pour accueillir une faune et une flore plus diversifiées. »

Afin de conserver au mieux la qualité germinative et la vigueur des semences produites, Pierre Dorand conseille de les stocker dans un endroit sec et tempéré, à l’abri de la lumière. « Sur la ferme, nous les déposons dans une chambre maintenue à 12°C, équipée d’un déshumidificateur. L’objectif est aussi de les manipuler le moins possible. »
Autre élément à retenir : toutes les espèces ne se conservent pas aussi longtemps. Si les solanacées, brassicacées et apiacées n’ont pas de durée limite, les alliums et panais ont, en revanche, une durée de conservation limitée : respectivement 4 et 2 ans. « Pour être certains de la qualité des semences que nous commercialisons, nous réalisons, chaque année, des tests de germination avec le résultat mentionné sur le sachet », complète-t-il.

 

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