Les ressources génétiques : un héritage du passé, une passerelle vers l'avenir. Exemple des solanacées (tomates, aubergines, piments...)

Marie-Christine Daunay - Ingénieur de recherche - INRA

Les ressources génétiques... de quoi s'agit-il exactement ?

Marie-Christine Daunay - Ingénieur de recherche - INRA
Les ressources génétiques des plantes cultivées sont composées, pour l’essentiel, de variétés ou populations anciennes et modernes, nationales et étrangères, ainsi que de matériel sauvage apparenté. Outre la valeur patrimoniale d’un matériel vivant issu d’une interaction multi-millénaire avec l’Homme, ces ressources sont stratégiques pour l’ensemble de la filière agricole, en particulier pour la sécurité alimentaire et la sélection végétale. Le BRG, créé en 1983, a été pendant 25 ans en charge de l’élaboration et de la conduite de la politique nationale française en matière de ressources génétiques animales, végétales et des micro-organismes. Il initia la création de nombreux réseaux de plantes cultivées. Le BRG a été dissous suite à la création en 2008 de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, dont la mission de favoriser les activités de recherche sur la biodiversité diffère de celle du BRG. Ainsi à l’heure actuelle la situation est très préoccupante car il n’y a plus d’autorité publique française mandatée pour définir et gérer la politique nationale en matière de gestion des ressources génétiques agricoles. Cette situation fragilise la sécurité à moyen et long terme des ressources détenues en France, et elle brouille notre image nationale dans les actions de coopération internationale de maintien et de valorisation des ressources génétiques

Quel est l'objectif du réseau des ressources génétiques des Solanacées ? A quoi sert-il ?

Notre objectif est d’assurer la régénération, la conservation, la caractérisation ainsi que la facilité d’accès aux ressources génétiques détenues par l’ensemble des partenaires du réseau, en mutualisant notre matériel végétal, nos expertises et nos moyens expérimentaux. Nous travaillons dans l’optique de l’utilisation de ces ressources pour la sélection de nouvelles variétés de tomates, d'aubergines, de piments. En effet, le matériel génétique que nous conservons et entretenons constitue une réserve de caractères d’intérêt pour les acteurs de l’ensemble de la filière légumes: producteur (par exemple résistance à différents agents pathogènes et ravageurs), distributeur (conservation, aspect, etc.), consommateur (goût, arômes, valeur nutritionnelle, etc.), industriel (tenue du produit à la tranformation, teneur en eau réduite, etc.). Il y a beaucoup de différence entre le matériel en collection qui représente une grande diversité génétique et les variétés cultivées actuellement dans les bassins de production en France et dans le bassin méditerranéen, qui répondent étroitement aux exigences actuelles de la filière. De par l’identité professionnelle de ses partenaires, le réseau assure le rôle d’un pont reliant le matériel de collection et le matériel en cours de sélection qui donnera naissance aux variétés de demain. C’est aux sélectionneurs privés que revient la tâche de conduire une phase dite de pré-sélection, au cours de laquelle les caractères d’intérêt, présents dans certaines variétés de la collection et importants pour la filière actuelle, seront introduits et sélectionnés dans des fonds génétiques modernes.

Combien de variétés sont conservées par le réseau ?

Leur nombre est en évolution constante puisque les partenaires du réseau introduisent chaque année du nouveau matériel. L'Inra est le fournisseur le plus régulier de nouvelles introductions, du fait que ses collections, constituées depuis une cinquantaine d’années, sont importantes. De plus, le réseau intègre régulièrement de nouveaux partenaires qui, au titre de « ticket d’entrée » dans le réseau doivent apporter au moins une quinzaine d’introductions originales. En mai 2010, les collections du réseau comptaient 976 introductions de tomate, 738 de piment et 582 d'aubergine. Un sous-ensemble de ces collections (5-11%) constitue la collection nationale de chacune de ces espèces, qui est constituée majoritairement de variétés françaises anciennes ou de géniteurs particuliers, selon des critères de choix édictés par le BRG. Des échantillons du matériel de la collection nationale sont en théorie accessibles à tous, moyennant des demandes raisonnables en termes de nombre de variétés, mais cet accès n’est en pratique possible qu’à condition que l’information concernant le matériel en collection soit publiquement disponible, ce qui pour le moment est le cas de la seule collection nationale de tomate (3). Le matériel du réseau dont l’origine est INRA est accessible à tous, moyennant les mêmes réserves que pour les collections nationales. Le réseau, comme l’INRA, ne seraient pas à même de répondre, le cas échéant, à un très grand nombre de demandes, faute de moyens adéquats pour les gérer. Le matériel versé au réseau par les partenaires privés n’est actuellement accessible qu’aux seuls membres du réseau.

Quel est l'intérêt du travail de conservation des ressources génétiques des Solanacées ?

Le matériel en collection représente une diversité issue de siècles de sélection humaine et d’interactions des plantes avec leur milieu agroclimatique d’origine. Le sol, le climat, le choix des porte-graines par les paysans et de nombreux autres facteurs ont influencé l’évolution spatio-temporelle des variétés. Aujourd'hui, nous héritons de cette précieuse diversité naturelle. L'aubergine actuelle, par exemple, a une longue histoire : plus de 2000 ans de domestication ! L'échelle de temps de l’évolution génétique naturelle n'a rien à voir avec l'échelle de temps d’une génération humaine. C'est très important à comprendre: nous devons protéger cette riche biodiversité car si elle est perdue, elle le sera de façon définitive car elle ne pourra pas être recréée d’un coup de baguette magique ou bio-technologique. Nous devons penser à l'avenir à long terme et conserver le maximum de cette diversité qui est une richesse dont on ne maitrise pas tous les atouts car nous avons identifié seulement une partie des caractères d’intérêt qu’elle porte. Les caractères qui ont aujourd’hui un intérêt pour la filière légumes, ne sont pas les mêmes que ceux qui devront répondre aux besoins du futur.

Expliquez-nous comment fonctionne le réseau, de manière très concrète...

Le réseau est scindé en un sous groupe « tomate » et un sous-groupe « aubergine –piment ». Les partenaires du réseau ont la liberté d’être actifs sur une seule espèce, ou deux ou les trois. Dans l'ensemble, il faut savoir que nous fonctionnons sur des règles techniques rigoureuses et que nous travaillons nos ressources génétiques de façon à ce que chaque introduction soit bien identifiée, génétiquement fixée et morphologiquement homogène, ceci afin de faciliter leur usage ultérieur éventuel en sélection. L’exigence d'homogénéité génétique et phénotypique est possible car nos trois espèces sont autogames (4). Les sélectionneurs partenaires du réseau participent chaque année au plan de régénération d’un certain nombre de variétés et espèces apparentées, mis au point par le coordonnateur de chaque sous-groupe. Un règlement technique définit précisément les modalités de la régénération : nombre de plantes minimum, précautions environnementales et sanitaires à prendre, etc... Les sélectionneurs régénèrent cinq à dix variétés par espèce et par an. Suite à la régénération, un échantillon de semences de dix grammes minimum est conservé, à l'INRA (tomate, aubergine) ou au GEVES (piment), et un double de sécurité constitué d’une centaine de graines est conservé dans un autre endroit. Par exemple, pour la tomate et pour une variété donnée, 10-50 grammes de semences sont conservées à l'INRA et le double de sécurité est conservé chez le partenaire qui a régénéré cette variété. La description du matériel est centralisée et prise en charge par l’INRA (tomate, aubergine) ou par le GEVES (piment). Chaque année un jeu de variétés est décrit. Pour le moment, le réseau ne réalise par d’évaluation du matériel pour des caractères d’intérêt, chaque partenaire se réservant une autonomie dans ce domaine. Les partenaires du réseau ont une réunion plénière chaque fin d’année, durant laquelle le bilan de l’année écoulée est dressé, la planification de l’année à venir est esquissée dans ses grandes lignes, et des sujets d’intérêt général sont présentés ou discutés, qu’ils soient propres à la vie du réseau ou relevant d’évènements importants pour les ressources génétiques (expositions, congrès, changements structurels au plan national, traités internationaux, etc.). Il y a par ailleurs chaque été trois visites techniques, une visite pour la tomate (champ), pour l’aubergine (champ) et pour le piment (serre), au cours desquelles les partenaires se rencontrent autour du matériel en cours de description et prennent alors la décision de le conserver, le stabiliser, voire l’éliminer s’il ne présente pas d’intérêt particulier ou est déjà représenté dans la collection du réseau. (1) INRA : Institut National de la Recherche Agronomique GEVES : Groupe d'Etudes des Variétés et des Semences CIRAD : Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (2) Les semenciers-sélectionneurs du réseau Solanacées sont français (Clause-Tezier, Vilmorin, Gautier, Technisem) ou étrangers mais disposant de stations de recherche en France (Enza Zaden, Nunhems, Rijk Zwaan, De Ruiter-Monsanto, Syngenta, Takii et Sakata). (3) http://w3.avignon.inra.fr/rg_tomate/ (4) L’autogamie est un régime naturel de reproduction sexuée par autofécondation plus ou moins stricte, qui entraîne de forts niveaux naturels d’homogéneité génétique et phénotypique. (5) Perrot N., Deverre C., Bellon S., Daunay M.C., 2008. Diversité des acteurs et des modes de conservation des espèces légumières : Pré-enquête au travers du cas de la tomate. p281-288 in Les légumes, un patrimoine à transmettre et à valoriser. Actes du Colloque d’Angers, 7-9 septembre 2005. Ed. AFCEV. (6) Roch G., Bouchet J.P., Sage-Palloix A.M., Daunay M.C., 2010. Public and commercial collections of heirloom eggplant and pepper: a case study. In Advances in genetics and breeding of Capsicum and eggplant, J. Prohens, A. Rodríguez-Burruero (Sc. Eds), Ed. Universitat Politècnica de València, València, Spain: 77-88. (7) Daunay MC, 2008.Avantages et inconvénients des différents modes de gestion des ressources génétiques de légumes existant en Europe. p289-309 in Les légumes, un patrimoine à transmettre et à valoriser. Actes du Colloque d’Angers, 7-9 septembre 2005. Ed. AFCEV.
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