Face aux défis : la semence, formidable vecteur d’innovation

Denis LOR - Consultant scientifique chez VILMORIN

Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?

Denis LOR - Consultant scientifique chez VILMORIN
La semence est un vecteur d’innovation formidable pour répondre aux différents challenges agricoles et alimentaires dans le monde : pour adapter les plantes aux changements climatiques, augmenter la productivité en réponse à l’accroissement de la population, contribuer au progrès du niveau de vie des cultivateurs, répondre aux exigences des utilisateurs des produits récoltés, satisfaire les besoins des consommateurs par la qualité et la sécurité sanitaire. Cette innovation s’appuie sur les techniques « ancestrales » de la Sélection des plantes cultivées alliées aux découvertes sur la génétique et aux connaissances en biotechnologies végétales.

Quelles sont vos « sources » pour l’amélioration des plantes ?

L’amélioration des plantes a besoin d’une variabilité génétique large et de plantes préexistantes. C’est un processus lent et cumulatif, qui procède étape par étape. La sélection de nouvelles variétés ne peut se concevoir sur une « planche à dessin » contrairement à d’autres biens. Au sein de la biodiversité, les Ressources Génétiques englobent les variétés anciennes et nouvelles après leur vie commerciale, les diverses accessions, les races locales et les espèces sauvages apparentées. Ces Ressources Génétiques visent à maintenir le maximum de variétés ou écotypes dans chaque espèce. C’est un patrimoine commun qu’il faut préserver, essentiel pour les besoins de l’humanité.

Que faites-vous pour les préserver et les régénérer ?

Pour les ressources génétiques, leur maintien et leur description pour être utilisables sont des étapes fondamentales. La procédure privilégiée en France est celle du maintien de leur vitalité et de leur intégrité génétique, par autoreproduction. Il est réalisé dans un réseau associant la recherche publique (INRA/GEVES) et la recherche privée, avec une répartition sur l’ensemble du territoire national. Ce réseau existe pour les espèces de grandes cultures, comme pour les espèces légumières. Cette action collégiale et mutualisée apparaît comme particulièrement adaptée pour  le respect des productions et variétés locales, et le maintien des ressources génétiques de manière sécurisée et scientifique. D’autres pays ont opté pour une conservation statique dans des «  banques de gènes » centralisées (Allemagne, Pays-Bas, Etats-Unis…). L’effort global des sociétés privées est estimé à environ 1% de leur chiffre d’affaires. Sachant qu’en plantes légumières, les sélectionneurs privés français maintiennent, en outre, une liste officielle européenne de plus de 500 variétés pour amateurs, du domaine public et de conservation menacées d’érosion génétique, et qui sont libres de commercialisation. Toute restriction forte à l’accès aux Ressources Phytogénétiques représente une menace très grave pour le progrès génétique : en particulier le libre accès aux gènes devra impérativement être sauvegardé, pour permettre la sélection de nouvelles variétés innovantes. On estime qu’environ 60 à 80% de gènes « exotiques » selon les espèces, peuvent être recherchés dans ce pool mondial, pour apporter des traits nouveaux dans les variétés modernes. Enfin une vérité bonne à dire : selon les observateurs scientifiques, la variabilité génétique globale, exprimée en termes de « gènes », n’a pas diminué suite à la sélection de nouvelles variétés et elle a même globalement augmenté, avec la recomposition de nouveaux patrimoines génétiques.

Comment identifiez-vous les attentes de la société ? Comment y répondez-vous dans votre métier de sélectionneur ?

La perception des besoins est une démarche difficile car elle s’inscrit dans un avenir fixé par la durée des cycles de sélection, soit 8 à 10 ans et dans un contexte mouvant (environnement agro climatique, habitudes et goûts alimentaires, santé, etc.). Elle se réalise de façon collégiale grâce à la mise en commun des connaissances des sélectionneurs, des enquêtes privées, des rapports publics, des tendances d’opinion, des médias et de la production de semences, avec ses contraintes techniques et économiques. C’est un exercice prospectif lourd qui débouche sur un profil de variété « type » ou « idéal » avec des marges d’incertitude qu’il faudra corriger et des risques : 15 à 20% du chiffre d’affaires engagé dans la R&D au niveau des Sociétés Professionnelles de Semences ! C’est le sélectionneur qui, avec ses équipes de soutien, va conduire le programme patiemment et avec son « art de spécialiste » pendant plusieurs cycles jusqu’à l’épreuve finale d’essais.

Citez-nous quelques exemples concrets d’amélioration végétale.

Il faut d’abord rappeler que de nombreux traits innovants majeurs ont été introduits à partir des Ressources Génétiques. On peut citer le melon Charentais avec la monœcie (Apparition de fleurs mâles et de fleurs femelles en des endroits différents sur la même plante) issue du Cantaloup d’Alger qui a permis l’éclosion des hybrides. La tomate Cervil, conservée par Vilmorin depuis 1923, a permis d’enrichir le goût. Enfin, notons que la plupart des résistances aux maladies qui sont introduites dans les variétés modernes proviennent des Ressources Génétiques. Les progrès sont jalonnés d’étapes majeures et sans être exhaustif, on peut rappeler :
  • les hybrides de maïs, qui ont colonisé la France à partir du sud-ouest jusqu’à Amiens ;
  • le blé Apache, à paille courte et productif, de bonne valeur boulangère ;
  • la betterave Paulina, résistante aux nématodes et au virus de la rhizomanie ;
  • les tournesols « oléiques » enrichis de 20 à 80% en acides oléiques bénéfiques pour la santé ;
  • les melons Charentais d’excellente qualité gustative ;
  • la fraise au goût naturel de fraise des bois, la Mara des Bois ;
  • le développement de la mâche et des salades variées ;
  • l’engouement pour les tomates gustatives en grappe ;
  • toutes les résistances aux maladies qui permettent la diminution des traitements, voire la production sous ''zéro traitement'' (tomates et poivrons).
Il faut ajouter que beaucoup de variétés légumières modernes plus rustiques conviennent aux jardiniers amateurs.

Comment est financé ce travail de recherche ?

Ce travail de recherche, y compris de plus en plus la recherche interne amont en pathologie, biologie cellulaire et moléculaire, est autofinancé à 99% par les ressources provenant des ventes de semences. Cette situation d’effort de recherche élevé et de très forte compétition, explique les rachats et fusions de sociétés pour atteindre une taille critique. Des contrats de recherche amont sont passés avec les académies ou Universités, en France ou à l’étranger, dans le cadre de projets.

Quel est l'intérêt du « Certificat d'Obtention Végétale » ?

Plutôt que de parler du Certificat d’Obtention Végétale, parlons du titre de propriété intellectuelle qui reconnaît l’effort de création innovante et le progrès génétique réalisé dans la nouvelle variété. Ce titre de protection permet à son obtenteur de se protéger par un droit exclusif pendant une durée limitée (20 ans) et lui assure un juste revenu. Le droit UPOV (Union pour la Protection des Obtentions Végétales) apparaît comme le plus équilibré, le mieux adapté à notre métier de la sélection car il protège une formule génétique, « la variété », sans confisquer les gènes qui sont libres d’accès, pour permettre aux autres sélectionneurs de les utiliser afin de poursuivre leurs propres travaux de sélection.
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