L'épeautre, une céréale ancestrale remise au goût du jour

Au début du siècle dernier, l’épeautre occupait une bonne place en Europe du Nord. Puis cette « reine des céréales » s’est laissée détrônée par le blé, qui a pris une bonne longueur d’avance sur le plan du rendement. Mais l’espèce ancestrale n’a pas dit son dernier mot...

Epi d'épeautre © SEMAE-Paul Dutronc

L’épeautre connaît un regain d’intérêt, après avoir été longtemps oublié… L’espèce est très ancienne, on a retrouvé des traces de culture datées de plus de 2000 ans avant J.C. dans le Haut-Rhin. Jusqu’à l’an mille, cette « reine des céréales » constituait la forme de blé la plus cultivée dans le nord de l’Europe.

On présente l’épeautre comme l’ancêtre du blé. Les deux espèces appartiennent au genre Triticum, l’un est spelta, l’autre est aestivum. Elles présentent des similitudes dans les génomes, toutes deux hexaploïdes. Attention, le nom épeautre peut désigner également l’espèce diploïde Triticum monococcum, surnommée alors « petit épeautre » ou engrain, cultivé en Provence.

Blé au grain nu, épeautre au grain « vêtu »

Entre l’épeautre et le blé, il y a une différence essentielle : le grain de l’épeautre ne se décortique pas spontanément, contrairement à celui du blé dont les enveloppes s’enlèvent facilement à la récolte. Ainsi, on ne surchargeait pas inutilement les charrettes !

C’est donc plutôt le blé qui a fait l’objet des programmes de sélection et l’on connaît la suite, avec la progression spectaculaire des rendements. Aujourd’hui, l’épeautre couvre modestement 13 000 hectares, contre près de cinq millions d’hectares pour le blé. Mais l’épeautre possède plus d’un atout dans son sac.

Idéale pour la bio et l’agro-écologie

La rusticité est son point fort. L’épeautre peut être cultivé sur des terrains pauvres. Le froid, ne lui fait pas peur, ni l’humidité, grâce à sa haute résistance à la germination sur pied.

Moins besoin d’engrais. Grâce à ses racines profondes, l’épeautre va puiser des nutriments naturellement présents dans le sol. Il est donc beaucoup moins exigeant que le blé et peut aisément se contenter des reliquats d’engrais épandus pour la culture précédente.

Combatif face aux adventices. Cette céréale est dotée d’une forte capacité de développement. La plante couvre vite le sol et réussit à concurrencer les mauvaises herbes. On peut éviter ainsi les passages d’herbicides ! 

Peu sensible aux maladies. Les champignons ne lui font pas peur. Ce qui lui permet d’échapper aux maladies fongiques, si préjudiciables au blé, comme la septoriose, la rouille jaune, le charbon ou la carie. Sa moindre sensibilité s’explique en partie par les enveloppes coriaces des grains, qui jouent le rôle de protection, contre les contaminations.

Ces quelques points expliquent pourquoi l’espèce est bien adaptée à l’agriculture biologique. Les parcelles cultivées en bio représentent plus de la moitié de l’assolement total de l’épeautre en France.

De nombreuses vertus diététiques. Son grain est très riche en protéines et en glucides, mais aussi en magnésium, en zinc et en fer. En plus, il est mieux toléré par les personnes intolérantes au gluten. La farine d’épeautre possède les mêmes utilisations que celle du blé : confection de pain, pâtes alimentaires, biscuits, gâteaux, crêpes...

Bon aussi pour les animaux. L’épeautre constitue un excellent aliment d’engraissement pour les bovins, en particulier les vaches laitières. Sa richesse en cellulose a un effet bénéfique sur la rumination, sa composition riche en albumine et phosphore convient bien à la digestion et à la lactation.

Une recherche active, en Europe de l’Est… et en France

Actuellement, en Europe, l’épeautre est activement sélectionné en Belgique, Allemagne, Suisse, Autriche… L’espèce est pour l’instant absente du Catalogue français, mais le catalogue européen comporte une quarantaine de variétés, comme Zollernspelz, Ressac, Cosmos, Sérénité... En France, l’épeautre intéresse également les sélectionneurs. Des programmes de recherche sont menés en partenariat public-privé. Chez Lemaire-Deffontaines, les travaux de sélection ont débuté il y a une quinzaine d’années. Premier succès, en 2017, l’inscription de la variété Convoitise. Il s’agit de la première obtention française d’épeautre. Et d’autres devraient suivre… De quels types ? Les sélectionneurs européens se sont entendus pour limiter la dérive qui consistait à introduire trop de caractères issus de parents proches du blé tendre. Les anciennes lignées d’épeautre ont ainsi été remises à l’honneur dans les croisements. Nous voilà rassurés, les prochaines variétés d’épeautre devraient garder leur bon goût inimitable.  

Laure Gry

A ne pas confondre avec le grand épeautre, le petit épeautre est une espèce diploïde, Triticum monococcum, appelée aussi engrain, par allusion à la présence d’un seul grain par épillet.

Il n’existe pas de catalogue européen pour le petit épeautre et les ventes de semences ne font pas l’objet d’un contrôle officiel, ce qui n’empêche pas à la filière d’être reconnue. En 1997, les producteurs de cette espèce se sont regroupés, au sein du Syndicat du petit épeautre de Haute Provence, pour défendre leur culture. Et leur démarche a abouti à la mise en place en 2010 d'une IGP « Petit épeautre de Haute Provence » qui définit une zone géographique sur les départements de la Drôme, des Alpes-de-Haute-Provence, des Hautes-Alpes et du Vaucluse à plus de 400 mètres d'altitude. La culture y est menée de façon extensive, sans utilisation de désherbants ni produits chimiques de synthèse, comme en agriculture biologique.

LG
MD
SM