La ville nourricière

Au cours du XXe siècle, le développement urbain a fait disparaître nombre de terres agricoles tant dans les villes elles-mêmes qu’à leur proximité immédiate. Une menace pour la sécurité alimentaire à laquelle l’agriculture urbaine tente de répondre.

La ville nourricière Pascal Fayolle

Si l’ampleur du phénomène diffère selon les territoires, la déconnexion des terres agricoles de leurs marchés locaux est devenue une réalité. Les ceintures maraîchères et céréalières se réduisent comme peau de chagrin et, dans bien des cas, les aliments consommés aujourd’hui dans les pays industrialisés ne sortent plus guère des champs voisins. Le lien nourricier est rompu. Alors qu’en France des projets alimentaires territoriaux se mettent en place pour y remédier, avec une agriculture périurbaine productive et restée dynamique, c’est l’agriculture urbaine, médiatisée, qui tient la vedette.

Cependant, les défis à relever pour ce type d’agriculture sont nombreux : disponibilité et fertilité des sols, pollutions diverses, climatologie éprouvante pour les plantes ou encore logistique complexe pour la chaîne de production. De la culture sur bottes de paille aux installations high-tech de serres verticales, toutes les techniques cohabitent sans oublier la viabilité économique des projets. En la matière, les modèles se cherchent. Pour l’heure en France, acteurs publics et privés se retrouvent souvent associés dans des montages à vocation sociale où se mêlent jardins partagés, potagers scolaires, vergers des collectivités et autres fermes pédagogiques.

Les Parisculteurs

Ainsi, en 2014, la ville de Paris a lancé les Parisculteurs, des appels à projets pour valoriser des surfaces rendues disponibles par différents partenaires. Début 2019, Paris comptait 20 hectares dédiés à l’agriculture urbaine contre 11 cinq ans plus tôt. Les 16 sites exploités, au sol, sur toitures ou en sous-sols, produisaient d’après la ville, 285 tonnes de fruits, légumes, champignons et aromates ainsi que 66 000 fleurs coupées et plants récoltés par an en moyenne.

Parmi eux, dans le nord du 18e, « La Caverne » est une micro-ferme en sous-sol, portée par la start up Cycloponics, installée dans les parkings que gère un bailleur social. À la fois productive et participative, la ferme comprend trois types de productions : champignons et endives en cultures certifiées bio et micro-pousses sous LED. Elles sont vendues aux riverains, commerces de proximité et restaurateurs.

Un peu plus à l’Est, à Belleville dans le 20e arrondissement, le projet « Flore Urbaine » réunit depuis 2017, les structures Pépins Production, Plein Air et Interface Formation. L’exploitation en champ partagé de 1200 m² rassemble des activités de production et de vente de plantes ornementales cultivées en pleine terre et sous serre de manière écologique et solidaire. Des plants de pépinières pour les jardins mais aussi une centaine d’espèces de fleurs coupées vendues en bottes ou en bouquets. Pois de senteur, iris, narcisses, tulipes ou encore feuillages décoratifs sont ainsi proposés aux professionnels comme aux particuliers sur place, en vente directe ou par l'intermédiaire d'un réseau de partenaires.

Lancée ce printemps, la saison 3 des Parisculteurs renforce les liens noués avec le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et d’autres partenaires de la métropole du Grand Paris. Ainsi, fin 2019, 47 sites devraient devenir actifs pour une récolte prévisionnelle de 935 tonnes de fruits, légumes champignons et aromates ainsi que 500 000 fleurs coupées et plants par an. La ville de Paris en elle-même ambitionne d’atteindre 33 hectares en agriculture urbaine en 2020.

La ferme urbaine de Saint-Denis

Par ailleurs, depuis le Moyen-Âge, la ville de Saint-Denis (93) est un haut lieu traditionnel du maraîchage parisien. Le dernier maraîcher à cultiver des salades à la « Plaine des vertus », a transmis le site en 2017 aux Fermes de Gally avec le concours de la ville sous bail agricole. La ferme conserve sa fonction de production mais s’ouvre aux habitants et aux entreprises avec la création d’un site pilote d’agriculture urbaine multifonctionnelle. Ici, on goûte, on sensibilise et on partage produits et savoirs. Il s’agit en outre de former de jeunes Franciliens aux métiers agricoles et de répondre aux défis de la ville durable.  

À Tours, les jardins perchés

Aux pays des châteaux de la Loire, la ville durable est aussi une préoccupation des collectivités. À Tours (37), le gestionnaire public de l’habitat installe avec le Lycée Tours-Fondettes Agrocampus « les jardins perchés », un site de productions alimentaires en HLM. Il est programmé pour septembre 2019. Les toits et les espaces au sol se couvriront donc bientôt de champignons en conteneurs, de jardins partagés en cultures légumières et en vergers afin de transférer les compétences sur des productions viables pour l’installation d’un maraîcher professionnel.

Isabelle Cordier

L’agriculture urbaine combine souvent des systèmes de production très différents, des plus traditionnels au plus technologiques.

Si les cultures vivrières en pleine terre se raréfient, le hors sol est déjà bien développé, classiquement en jardinières et bacs ou encore en sacs pré-percés de substrats adaptés.

Plus récentes, les cultures sur paille ou celles dites en « lasagnes », sont popularisées par les mouvements de permaculture et de recyclage des déchets. Elles sont aussi une alternative aux sols pollués ou aux surfaces non cultivables en général. C’est le cas d’ailleurs de l’hors-sol sous serre qui existe depuis longtemps. Chauffées ou non, avec ou sans éclairage artificiel, seules les dimensions des serres changent en milieu urbain avec des techniques qui se perfectionnent. Les plus high-tech sont de vraies usines de cultures, souvent en hydroponie (racines dans l’eau), capables de produire toute l’année n’importe où. Certains les voient déjà sur Mars…

Très médiatisée en 2016, la création du bar-comptoir à herbes aromatiques et plants potagers du chef Thierry Marx, sur le toit terrasse du palace Mandarin Oriental à Paris, a valorisé à sa manière l’agriculture urbaine. Riche de 35 variétés de plantes de collections botaniques ou insolites, l’installation de l’agence de paysagistes Gautrand est une source d’inspirations culinaires nouvelles, à découvrir en cocktails ou dans l’assiette au restaurant de l’hôtel.

 

La collection de menthes promène les visiteurs invités de l’anis à la fraise en passant par le chocolat tandis que celle de thym exhale des odeurs de citron, d’orange ou encore de sève de conifère. On y retrouve aussi des grands classiques comme des sauges officinales, des verveines, de la camomille… et quelques fleurs comestibles telles que la capucine, la monarde, la bourrache ainsi que des variétés potagères à l’instar des tomates, courgettes niçoises, petits oignons blancs ou encore céleri branche.

 

 

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